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L'Art de la Comédie

+ d'infos sur le texte de Eduardo De Filippo traduit par Huguette Hatem
mise en scène Philippe Berling

: Un jeu de miroir

L’Art de la comédie est une pièce aussi dérangeante que celles de la trilogie de Pirandello et du reste, Eduardo De Filippo rend hommage à cet auteur dans cette oeuvre qui peut rappeler Six personnages en quête d’auteur : si l’on excepte deux comparses (l’un en « voix-off » et l’autre, le Sacristain, qui n’a qu’une réplique), les personnages sur qui plane l’équivoque de leur identité dans l’intrigue d’Eduardo sont bien au nombre de six. Ainsi, quarante ans plus tard (les Personnages sont de 1921), Eduardo se souvient de sa rencontre de jeunesse avec Pirandello et approfondit la voie ouverte par le grand dramaturge sicilien.


Quel intérêt y a-t-il donc à multiplier les jeux de miroirs, à plonger le spectateur dans l’indécision et le vertige ? La pièce répond à cette question d’une manière quasi miraculeuse en ouvrant tout à coup des voies claires et lumineuses.
Dans cette pièce, on va au-delà de la simple représentation du « théâtre dans le théâtre ». Essayons de cerner la structure de la seconde partie de la pièce : il est impossible de trancher entre deux hypothèses, selon que l’on estime être en présence de personnages traditionnels de théâtre (le médecin, le pharmacien, le prêtre, la maîtresse d’école, le couple de paysans) ou d’acteurs d’une troupe ambulante jouant ses propres rôles, et le problème ne sera résolu ni par les personnages à qui on joue, peut-être, la comédie, ni par le spectateur. Ce n’est plus Henri IV de Pirandello dont nous nous demandons s’il est ou s’il n’est pas fou, mais c’est la réalité même du personnage dans sa véritable identité qui est mise en doute. On peut donc dire qu’Eduardo De Filippo nous oblige à admettre, d’une manière équilibrée, la coexistence de deux interprétations, ou du moins leur alternance dans notre esprit, il nous oblige à accepter la contradiction et à ne choisir aucun des termes de l’alternative en particulier. Ce projet paraît être une clé pour la compréhension de l’oeuvre. Certes le théâtre, bien avant l’interrogation de De Filippo, a posé cette question sur la double nature du comédien qui reste lui-même tout en incarnant l’autre. Mais une telle problématique est maintenant reprise à un autre niveau – le comédien est un comédien qui joue ou ne joue pas un autre personnage – et, sur cette voie, on pourrait imaginer une intrigue encore plus complexe multipliant les niveaux d’indécision, par exemple le personnage du médecin comporterait une énigme supplémentaire : dans le cas où il ne serait pas joué par un comédien de la troupe, il pourrait être lui-même un imposteur. Ou encore, certains visiteurs du préfet sont bien des acteurs de « la Baraque » et d’autres, les véritables visiteurs.


Faire à la fois jouer un texte ou une improvisation
L’oeuvre et la manière de l’approcher peuvent aussi être considérées sous un autre angle : L’arte della commedia (l’Art de la comédie) c’est aussi la commedia dell’arte vue à l’envers, car s’il s’agit bien d’acteurs, si la seconde hypothèse est la bonne, ce sont des acteurs improvisant merveilleusement dans la seconde partie un canevas bouffon digne de la comédie italienne des XVIe et XVIIe siècles. Dans son texte « écrit » et non varietur, Eduardo De Filippo fait à la fois jouer, par le même acteur, soit un texte, soit une improvisation – au second degré de la représentation, évidemment. Et si on l’interroge pour savoir ce qu’il pense, il répond avec un sourire qu’il ne le sait pas lui-même.


La position du spectateur
Et le spectateur ? Il est à la fois en dehors et sur la scène : il partage les incertitudes du préfet, spectateur éventuel d’un spectacle qui lui serait donné ; de plus, il joue lui-même un rôle. N’avons-nous pas utilisé plus haut le terme d’ « interprétation » pour le spectateur qui essaie de comprendre, de participer à la double pièce qui se déroule devant lui ? Dans une telle perspective, la pièce ne peut rester uniquement sur le plan du comique de situation ou de personnage : la fin tragique du pharmacien dément cette appréciation. Est-il bien mort ou feint-il la mort à la perfection ? Telle est l’énigme que le spectateur cherche à résoudre.

Huguette Hatem

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