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Du Rouge dans les yeux

+ d'infos sur le texte de Michel Beretti
mise en scène Simone Audemars

: Journal d’un projet

par Simone Audemars, metteur en scène

Journal d’un projet qui aura successivement porté le nom de :
1.- Orestie d’Eschyle
2.- Autopsie d’un texte défunt : L’Orestie
3.- Orestie.com
4.- …Et il y aura encore la vengeance des chiennes
5a) L’amphithéâtre tragique
5b) Du rouge dans les yeux


Printemps 2003
Nous venons de terminer Dunant et l’envie de continuer notre collaboration avec Michel Beretti se confirme.
Voyons loin, voyons grand ! Attaquons-nous aux origines du théâtre, et proposons à Beretti de travailler en étroit lien avec nous sur l’Orestie d’Eschyle.
Ce texte fondateur se penche sur les arcanes de l’âme humaine, met en jeu la naissance d’une justice établie par et pour les hommes pour abolir la loi du talion, évoque la pratique démocratique et la représentation théâtrale que se font les citoyens d’Athènes des affaires de la cité. Vaste chantier !
Après Dunant, une préparation à cette trilogie me paraît nécessaire ; elle se concrétisera par le biais d’un travail sur une forme tragique contraignante : la pratique physique et quasi athlétique de l’alexandrin avec Horace de Pierre Corneille.
L’articulation de ces deux projets révèle une dialectique signifiante ; ces oeuvres se terminent toutes deux par un procès : celui d’Horace et celui d’Oreste. Ces deux personnages, accusés pour des meurtres familiaux commis par vengeance, se voient contraints de répondre de leurs actes devant une instance juridique.


Janvier - mars 04
Beretti livre son travail de traduction de l’Orestie : traduction littérale, au plus près du texte d’Eschyle. Le texte résonne autrement, épuré de la lourdeur des traditions hellénistiques, propose d’autres images et met en avant tout ce qui nous rapproche et nous sépare de ce texte si lointain.


Avril 2004
Nous venons de terminer les représentations d’Horace. Le travail lié à l’interprétation s’est révélé passionnant. Une équipe de comédiens a répondu présent et a relevé le défi haut la main. C’est de bon augure pour l’Orestie.


Octobre 2004
Une vaste réflexion s’est ouverte au sein de la compagnie.
J’observe qu’au travers de tous les projets réalisés dans le cadre de l’Organon, que ce soit sur des textes classiques ou contemporains, nous avons cherché à comprendre les processus qui engendrent la fureur, l’irascibilité, à élucider ce qui amène un être à se retourner contre l’autre ou contre soi, à chercher vengeance, à préparer la guerre. S’exprimer par la violence, c’est basculer dans un territoire qui place l’être hors scène, hors de la société et de ses lois. Or seules ces dernières protègent les citoyens d’une répétition inéluctable du mal qui, se nourrissant de lui-même, s’engendrerait à l’infini. Sans règles, sans lois, l’homme bascule très vite dans la barbarie. Nous sommes très motivés, l’Orestie répond à nos préoccupations. Ces trois pièces nous posent également la question de la représentation de la justice : en somme, quel théâtre faut-il inventer pour raconter la justice – et la démocratie – aujourd’hui ?


Mars 2005 Réponses négatives de la commission vaudoise du théâtre et refus de deux institutions théâtrales, à Lausanne et à Genève, de nous co-produire et de nous programmer. Sans ces soutiens espérés, réaliser l’Orestie est une illusion. Que faire ?


Octobre 2005
Nouveau dépôt de dossier auprès des commissions idoines et nouvelles démarches auprès des théâtres pour accueillir un projet reformulé par André Steiger, qui portera le titre : Autopsie d’un texte défunt : L’Orestie. La compagnie se mobilise : Beretti propose l’écriture d’une nouvelle pièce, la compagnie peaufine un dossier à la hauteur de ses ambitions.


Mars 2006
Nouvelles réponses négatives à nos requêtes ; nul n’est intéressé par ce projet, même sous sa nouvelle formulation. Seule la Ville de Lausanne y croit, et s’engage, en nous promettant un soutien financier. Cette confiance, à chaque fois renouvelée, nous conforte dans notre désir de persévérer et de convaincre d’autres théâtres à nous soutenir. Ce projet verra le jour, j’en suis sûre et nous nous battrons pour cela.


Mai 2006
Enfin, un peu d’espoir se profile à l’horizon. La Grange de Dorigny, stupéfaite du peu d’intérêt porté par les théâtres lausannois à l’endroit de notre démarche, s’engage avec enthousiasme. L’Oriental-Vevey nous accueille en résidence et programmera la création du projet. Le Théâtre Saint-Gervais, quant à lui, renouvelle sa confiance à l’Organon, et se déclare partant pour l’aventure. La chance est en train de tourner.


Novembre 2006
Michel Beretti livre les 12 premières pages de L’Orestie.com. Le titre a de nouveau changé. La réflexion de Beretti sur la place occupée par le choeur aujourd’hui est en train de l’amener à s’intéresser à Internet.


Décembre 2006
Nouveau titre …Et il y aura encore la vengeance des chiennes. La pièce livrée à cette date propose une dramaturgie qui dégage deux pistes distinctes, tant sur la forme que sur le fond, l’auteur est partagé. Cette déchirure donnera le jour à deux pièces : l’une qui deviendra l’amphithéâtre tragique sur la base d’une relance dramaturgique développée par Steiger, et l’autre, Du rouge dans les yeux, que je prendrai en charge.
Beretti est parti pour une refonte complète de son travail d’écriture.


18 mars 2007
Journée intitulée Ballades en Orestie présentée à l’Oriental-Vevey. Au menu, conférence de Steiger «au choeur de la Grèce», déambulation spectaculaire qui met en jeu des extraits de l’Orestie d’Eschyle, conférence – débat autour de l’internationalisation du droit pénal et mise en lecture par André Steiger de L’amphithéâtre tragique.


20 mars 2007
Les répétitions Du rouge dans les yeux sont prévues pour début juillet. Aujourd’hui, je viens de recevoir la première page du texte, elle met en scène le témoignage d’un jeune homme qui avoue, face à une webcam, qu’il a tué sa mère. La langue est hachée, répétitive, sans aucune ponctuation.


15 avril 2007
J’ai reçu les 4 pages suivantes ce matin, par email. Le texte se déroule en continu, sans aucune majuscule et sans distribution. Seule une distinction des polices de caractère et quelques adresses Internet m’indiquent l’intervention de tiers non présents sur le plateau. D’emblée le texte pose plusieurs difficultés que je devrais résoudre. En priorité il s’agira de prendre position et de décider qui dira quoi, puis de trouver une solution théâtrale pour permettre à cet autre “acteur” qu’est le Net d’être représenté sur le plateau.


Mi-avril - mi-juin 2007
À raison d’un envoi de 5 pages tous les 15 jours, mon impatience grandit. Je découvre le récit par à-coups, et ma distribution n’est pas facile à réaliser. Les comédiens s’impatientent. Quant à Roland Deville, son travail de décorateur s’avère particulièrement difficile : les ateliers de constructions attendent ses plans, comment proposer une scénographie sur la base d’un texte qui n’existe que sous une forme lacunaire.
Bien sûr, je transmets à Roland les pistes possibles que peut prendre l’écriture, suite aux réflexions et aux interrogations que j’ai échangées avec Beretti, mais rien de plus concret.


Mai 2007
Roland Deville réussit le pari de me soumettre une maquette qui tient compte de tous les paramètres que nous avons évoqués ensemble. Le résultat est étonnant : une boîte, un théâtre ancien ? nouveau ? lâché par des dieux facétieux qui a atterri en s’enfonçant de biais sur le sol. Lorsque l’on regarde dans cette boîte, on assiste à un affolement des perspectives. Roland a parfaitement saisi Du Rouge dans les yeux : cette oeuvre questionne l’essence même de la représentation théâtrale. Aujourd’hui, notre appréhension du monde doit évoluer ; et de cette évolution, notre regard, aussi bien que celui du public, va en être modifié.


29 juin 2007
Michel me soumet les trois dernières pages de la pièce et il n’en est pas content. Demain, nous débutons les répétitions !


30 juin – 15 juillet 2007
Dans un premier temps, il s’agit de décortiquer avec tous les acteurs du projet ce que le texte de Beretti propose. Les pistes sont nombreuses et les chemins à explorer, semés de défis à relever. Les comédiens sont contents, la pièce leur plaît. Beretti a réussi à donner vie à ces “locuteurs”, qui sont à la fois internautes et comédiens. À travers la trame de son récit se développe tout un réseau de relations complexes où chacun se dévoile progressivement.


16 juillet – 29 juillet 2007
J’opère quelques modifications sur l’ordonnance du texte en accord avec Beretti. Le début me semble confus. Il s’agit pour le public de saisir très vite qu’il est face à un récit mené à la fois par des comédiens qui interprètent des internautes présents sur le plateau et par des internautes physiquement absents mais qui ne cessent d’intervenir dans le déroulement de la fable.
C’est la question du code de représentation à établir d’entrée.


3 août 2007
Voici une semaine que nous sommes passés sur le plateau. Les comédiens testent le décor de Roland Deville. L’effet de perspective du cadre de scène biaisé leur donne l’illusion d’évoluer sur un plateau en pente. C’est très déroutant.
Très vite ils comprennent qu’à 4, en permanence sur le plateau, ils devront sans cesse être à l’écoute les uns des autres pour répondre aux impulsions physiques proposées par chacun. D’emblée, la mise en jeu du texte de Beretti questionne la prise de parole du comédien : depuis où parle-t-il ? pour qui parle-t-il ? et comment parle-t-il ?
J’ai conscience que les réponses à ces questions seront capitales pour la réception Du rouge dans les yeux.


10 août 2007
Le travail de répétitions de la semaine a été principalement axé autour de la position d’émission du comédien.
Du rouge dans les yeux questionne autant l’émetteur que le récepteur sur son appréhension des affaires du monde, sur leur sens des responsabilités, sur leur capacité à établir des liens avec le passé pour éclairer le présent, sur leur désir d’apprendre et de partager avec les autres leurs inquiétudes, leurs joies et leurs réflexions.
Dès lors comment établir par le biais de l’interprétation une conversation fraternelle avec le public, afin de lui permettre de percevoir que ce qui est mis en jeu devant lui n’est pas produit par des donneurs de leçons. Exercice d’une extrême difficulté tant les problématiques abordées par Beretti sont délicates à traiter.
Mettre en scène un tel rapport avec le public suppose un pari assez vertigineux avec les interprètes sur le plateau : jour après jour, il s’agit de leur proposer un jeu qui les dévoile dans leur fragilité, d’engager avec eux une connivence de tous les instants qui leur permette de remettre en question la pratique de leur art, afin d’essayer d’éprouver l’essence même de ce qui fonde aujourd’hui pour moi, le dialogue entre le public et la scène.
Cette exigence interprétative humaine est cruciale car elle devra dialoguer avec la présence technique que le texte de Beretti nous impose : images et emails projetés sur les parois et le sol du décor.


19 août 2007
Cette semaine, la technique est entrée en scène avec son cortège de contraintes et de surprises.
Le résultat fut très stimulant pour les comédiens, leur permettant une nouvelle approche du plateau. Une relation ludique s’est ainsi établie entre le virtuel et le vivant pour mon plus grand plaisir.
Dès la semaine prochaine, il me faudra affiner ce dialogue, équilibrer les rapports de force. Notre travail est d’une extrême délicatesse, et nous avons tous conscience qu’un rien peut faire basculer cette proposition de jeu si ténue et si tendue du côté de l’application d’un savoir-faire.
Je ne sais pas ce que nous allons trouver ensemble d’ici au 5 septembre, puisque je découvre jour après jour ce que cet écrit recèle encore de nuances interprétatives.
Jamais un texte ne m’aura autant questionné sur ma pratique et sur les raisons essentielles qui me poussent, quotidiennement, à défendre l’indispensable conversation ludique et responsable qui se perpétue entre le théâtre et les spectateurs sur l’état du monde.
D’ici 15 jours, le texte de Beretti sera présenté au public. Nous saurons alors si la rencontre tant espérée aura lieu.
Le théâtre est ainsi fait, la pertinence d’un texte se vérifie par sa mise à l’épreuve à la scène et par sa réception par le public. Tout autre commentaire est superflu.

Simone Audemars

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