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Quelqu'un dehors moi nulle part

+ d'infos sur le texte de Sonia Willi
mise en scène Anne Monfort

: Note d’intention de mise en scène

De l’écriture textuelle à l’écriture de plateau


Ce travail en collaboration avec Sonia Willi intervient à un moment de mon parcours où ma pratique scénique s’est affirmée et radicalisée. Après avoir mis en scène pendant plusieurs années des textes de l’auteur allemand Falk Richter, que je traduis, j’ai voulu me tourner vers des formes qui relèvent beaucoup plus de l’écriture de plateau. Dans mes derniers spectacles, que ce soit Next door, Tout le monde se fout de la demoiselle d’Escalot ou Si c’était à refaire, le texte se constituait en même temps que la forme scénique. Dans ces formes, l’acteur était le support d’une narration se construisant et se déconstruisant. A partir d’un acteur au degré zéro de jeu, se présentant comme lui-même, apparaissent brièvement des histoires qui se désamorcent, s’interrompent, se continuent plus tard. La forme se crée et se désamorce avec comme seul support le corps de l’acteur. Forte de ces expériences qui m’ont permis de développer ma forme scénique et l’endroit de jeu que je cherche chez les acteurs, et parallèlement à ces formes performatives que je poursuis, j’ai eu l’envie de pousser plus loin ce travail sur la réalité et la fiction, et pour cela, de me confronter à une auteur travaillant sur les stratégies de narration, et particulièrement à une auteur pratiquant une écriture en lien avec les acteurs. Cette volonté de travailler en binôme découle d’une envie : radicaliser la tension existant dans mon travail entre la réalité du plateau, (où des acteurs sont là, ici et maintenant, en temps réel, et construisent la forme dans le même temps que celui de la représentation), et la fiction de la littérature ; la collaboration avec Sonia Willi vient affirmer ce deuxième pôle, en contrepoint et en complétude de la proposition scénique. Sonia Willi raconte le politique par l’intime. Ses textes présentent un rapport fort à la fiction, instance avec laquelle je joue et lutte parfois. L’écriture de Sonia Willi est pour moi à la fois un accompagnement et un contrepoint à mon travail de mise en scène : nous essaierons de travailler ensemble sur les points de vue, sur la façon de raconter une histoire.


Même si des matériaux sont déjà présents, le texte s’écrira au cours des répétitions, en fonction des improvisations, du dispositif… Dans le travail commun que nous souhaitons aborder, Sonia Willi et moi, autour de Quelqu’un dehors moi nulle part, nous souhaitons convoquer le texte comme une matière et collaborer au plateau entre auteur et metteur en scène : même si la structure du texte sera respectée, Sonia écrira au fur et à mesure des répétitions de nouveaux textes au cours du travail avec les comédiens. Le texte se fera donc matériau mouvant, les endroits d’écriture pourront varier, passant de l’écriture de la fable aux échos politiques et sociaux de cette maladie. A l’inverse, le travail pictural de la mise en scène pourra assumer des moments de narration. Ce projet correspond donc pour nous à la tentative de mettre en place une véritable écriture de plateau, dans une collaboration complémentaire entre auteur et metteur en scène.


Nous avons décidé de faire la distribution à deux, pour rencontrer de nouveaux comédiens et pour travailler sur la projection que l’auteur peut avoir des acteurs. Cela m’intéressait que Sonia me propose des acteurs qu’elle « voyait » dans les rôles qu’elle avait écrits. Et une des premières personnes dont Sonia m’a parlé est Laure Wolf, qui est très proche de mon travail, et dont je connais l’engagement dans l’écriture contemporaine. Nous avons ensuite rencontré ensemble Florent Guyot et Jeanne Rosa. J’ai également demandé à Charlène Strock, qui a travaillé avec moi comme plasticienne et performeuse dans plusieurs de mes travaux, de m’accompagner, de l’autre côté du plateau. Enfin, j’ai fait appel à Frédéric Blanc pour travailler sur des lumières et un dispositif créant le trouble visuel, une sensation de vertige entre l’intérieur et l’extérieur.


Une première étape de travail a eu lieu du 1er au 15 mai 2010, permettant la présentation d’une première lecture. Une lecture du texte a eu lieu également le 8 février 2011 au Théâtre Romain Rolland (Villejuif).


Démarche et dispositif


Les premières lectures nous ont permis d’affiner la rigueur du travail sur le texte – avec une diction très poétique, quasi automatique, et jouant aussi de façon ludique avec le fait de « sortir du jeu », de jouer avec le non-jeu et l’adresse au public directe.


Le travail sur Quelqu’un dehors moi nulle part s’oriente d’abord et avant tout sur une modalité : être au plus près du réel du personnage d’Emma, de la schizophrène, amenée à rencontrer des personnages étranges, jusqu’à la bascule finale qui explicite que ces personnages sont dans sa tête. Entre les scènes, je travaillerai à des passages de simple présence, de pur corps, d’ordre performatif, afin que les scènes ne soient parfois que la partie émergée d’un paysage mental.


La structure d’écriture de Quelqu’un dehors moi nulle part est une fable projetant le lecteur-spectateur dans le mode de pensée d’une schizophrène. C’est la construction et l’assemblage de scènes qui provoquent le trouble : individuellement, chaque situation décrite semble souvent claire et logique, et c’est la confrontation et la contradiction avec la suivante qui amène la difficulté à se situer.


Ce travail est à l’inverse d’autres mises en scène que j’ai pu réaliser jusqu’ici et où je mettais en situation des textes souvent abstraits. Ici, il s’agira de décaler la matière scénique, par des éléments visuels qui correspondront rarement à la situation indiquée, de troubler la perception entre les différents niveaux de réalité mentale. A partir d’éléments qui pourraient apparaître très cinématographiques, je chercherai les moyens sensoriels propres au théâtre permettant de troubler les perceptions. Le défi de ce texte est de trouver un fonctionnement au théâtre qui puisse être l’équivalent des cut ups et des effets de montage cinématographiques, de mettre en question l’illusion théâtrale, tout en jouant avec sa limite. D’où l’envie d’une direction d’acteurs qui, comme dans la plupart de mes travaux, alternera entre un degré zéro de jeu, où l’acteur semble être à nu, et une construction de personnage.


Ainsi, j’explorerai ce que pourrait être au théâtre l’équivalent du travail de David Lynch sur le dédoublement, en travaillant non pas sur une dissociation entre deux personnages, mais entre acteur au degré zéro du jeu et personnage.


Le travail de mise en scène sera très plastique, jouant sur des mondes se superposant les uns aux autres, où une chose peut être à la fois vraie et fausse, où un être peut être à la fois lui et son contraire. Le réel pourra apparaître difforme et exagéré - comme des scènes picturales arrêtées-, et le fictionnel crédible - à l’instar des fonctionnements psychiques que vivent certains schizophrènes.


Le dispositif scénographique, volontairement très simple, permettra de suivre ces méandres et d’emmener le spectateur dans ce jeu, questionnant aussi notre réalité à tous. En apparence vide, le plateau fera coexister d’étranges rapports de distance grâce à la lumière. Une table métallique, quasiment de dissection, surplombée de cycliodes en lustre, parfois recouverte de terre, avec une odeur de sous-bois, mettront en jeu le contraste du réel et de l’irréel, du privé et du public. Une odeur de pluie, un goutte-à-goutte d’eau régulier, un dispositif son très en arrière-plan, relevant de l’infra-perceptuel, comme nous l’avions pratiqué parfois dans Tout. En une nuit., faisant exister la pièce « d’à côté », l’univers d’à côté. Le personnage d’Emma rêve de devenir fictionnel, d’entrer dans le film de la mère qu’elle s’invente, Sally Bowles, incarnée par Liza Minelli dans Cabaret. Le dispositif permettra ce type de projection pour chacun des spectateurs.

Anne Monfort

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