: Quartet : Premières phases du projet
Quartet: A Journey to North est une pièce qu’Amir Koohestani et moi-même avons écrite. Elle est basée sur
des entretiens que j’avais réalisés un an plus tôt pour un documentaire sur Fathollah, un Iranien d’un certain âge
qui avait tué trois membres de sa famille. Dans un premier temps, nous avons dû trouver des personnes
capables de nous fournir une bonne transcription des douze heures de rushes dont nous disposions – une tâche
qui s’est avérée plus complexe que nous ne l’avions imaginée. Pour faciliter la sélection de nos collaborateurs
pour ce travail, nous avons d’abord demandé à deux groupes de personnes d’horizons professionnels différents
de transcrire les soixante premières minutes d’interview. Les deux versions livrées présentaient de grandes
différences. Dans celle du premier groupe, bien que le récit des faits soit particulièrement clair et cohérent, on ne
retrouvait pas la langue unique et originale des personnages, en particulier celle du meurtrier. Les deux
membres de ce groupe étaient des journalistes professionnels qui, pour les besoins de leur métier, avaient
appris à supprimer les détails hors de propos et les redites, et à se concentrer sur le fond de l’histoire. La
deuxième version fut réalisée par un groupe d’étudiants en théâtre qui comprenaient la spécificité de l’écriture
dramatique ; si elle comportait quelques passages où l’histoire devenait difficile à suivre, elle rendait de manière
très convaincante la langue des personnages et leur manière de s’exprimer. Les étudiants n’avaient omis aucun
mot, aucune phrase, même celles qui n’étaient pas pertinentes pour l’intrigue générale ou pas correctes d’un
point de vue grammatical. Ils n’avaient négligé aucun petit détail, comme les silences psychologiques, les « hmm », « euh » et autres « oh », ou encore les corrections que la personne interrogée apportait à ses propos au
cours de l’interview.
Un mois avant la première répétition, nous disposions de 110 pages d’interviews transcrites qui nous
encourageaient à poursuivre dans la même voie. Alors que nous nous attelions à la première version de la
pièce, Amir et moi n’étions pas encore convaincus de l’impact de l’histoire : tout était très évident, peut-être
même trop évident. Nous avons alors décidé d’ajouter une autre histoire qui contrasterait avec celle de Fathollah
: l’histoire d’une riche adolescente qui a perpétré un crime. La jeune femme ne partagerait aucune des
motivations qui ont conduit Fathollah au meurtre ; ce ne serait pas une victime de la pauvreté ou de la solitude
affective. Et nous nous sommes mis à chercher des gens dont le profil correspondrait au personnage que nous
avions à l’esprit. Nous avons alors trouvé deux filles qui avaient commis un crime – l’une avait assassiné son
petit ami, l’autre avait tenté de tuer le sien, parvenant seulement à le blesser –, mais nous n’avons pas réussi à
convaincre ces deux jeunes femmes ou leur famille de nous accorder un entretien. Nous avions promis de ne
mentionner aucun nom de personne ou de lieu qui aurait pu trahir l’identité de ces femmes ou de leurs proches,
mais elles refusèrent notre demande. Le premier jour de répétition approchait à grand pas, et nous n’avions pas
encore écrit un seul mot de la seconde partie. C’est alors qu’Amir est venu voir ma compagnie avec une
nouvelle idée : nous pourrions nous documenter sur l’une de ces affaires ou même prendre des éléments de
chacune d’elles et les combiner pour créer un personnage fictif. Nous pourrions ensuite écrire un monologue en
faisant comme s’il était basé sur un entretien original. Et c’est ce que nous avons fait : nous avons simulé une
situation pour les acteurs et auteurs, comme si nos personnages avaient accepté de participer à un entretien
filmé. Dans ces circonstances, l’histoire de Fathollah en tant qu’histoire vraie ayant réellement eu lieu allait
garantir la véracité du second récit en tant que fiction inspirée de la réalité.
Mahin Sadri
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