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Quartet, a journey to North

mise en scène Amir Reza Koohestani

: Méthode de travail

Amir Reza Koohestani a comme caractéristique de remettre sans cesse son ouvrage sur le métier, au risque de réduire au désespoir tous ses collaborateurs – qu’ils soient producteurs, acteurs ou techniciens. En effet, à tout moment, il est susceptible de rejeter toute la structure de la pièce qu’il est en train de monter et de repartir de zéro.


Koohestani commence ses répétitions alors qu’il dispose seulement de deux ou trois monologues ; la suite du texte prend forme au fil des répétitions. Une fois le texte complet, l’auteur se penche de nouveau sur les monologues initiaux et réécrit les scènes. Dans un premier temps, les acteurs ne connaissent donc que le début de la pièce et ignorent quelle tournure elle va prendre. De ce fait, ils doivent sans cesse revoir leur façon de concevoir les personnages en fonction du développement ultérieur de l’action.


Les répétitions se déroulent dans un silence absolu. Koohestani ne coupe jamais les acteurs et les laisse répéter au moins une scène entière sans interruption. Pendant ce temps, il note ses critiques éventuelles et, à la fin de la répétition, il en discute en tête-à-tête avec chaque comédien. Le silence et la concentration caractérisent ses répétitions à un point tel que l’on pourrait les comparer à une cérémonie religieuse.


Antécédents historiques du théâtre contemporain iranien


De nos jours, en Iran plus qu’ailleurs, le régime politique régente la vie culturelle et artistique. Pendant son règne, Mohamad Reza Shah fit financer le Festival des arts de Chiraz principalement avec des fonds publics. La plupart des grands metteurs en scène de l’époque, tels que Brook, Grotowski et Wilson, y présentèrent des spectacles dont les coûts de production élevés furent pris en charge par l’État iranien. Le shah voulait ainsi donner de la société iranienne l’image d’une société moderne et développée. Mais le public iranien de l’époque n’acceptait et n’appréciait que les formes théâtrales traditionnelles comme le « tazieh » (représentation du martyre d’Hussein) et le « siah bâzi » (sorte de commedia dell’arte à l’iranienne).


Jusque-là, les oeuvres de dramaturges occidentaux tels que Shakespeare, Tchekhov ou Ibsen étaient le plus souvent montées dans des traductions médiocres dues à des étudiants iraniens ayant séjourné à l’étranger. De plus, elles étaient interprétées par des troupes qui ignoraient les dernières avancées dans le domaine du théâtre. C’est alors que la cour du shah impose le théâtre d’avant-garde de la fin des années 1960 à la communauté artistique du pays. De ce fait, le théâtre devient une forme artistique réservée à une certaine élite intellectuelle. Et, tandis que l’État apportait son soutien à de nombreuses productions avant-gardistes et expérimentales, des troupes indépendantes – marxistes et opposées au shah – bravaient la censure sévère et présentaient des pièces très engagées et contestataires.


La révolution iranienne de 1979 frappe le monde culturel de nombreuses interdictions. Dans le chaos de la révolution, les artistes soutenus par l’État pendant le règne du shah sont poursuivis en tant que royalistes, tandis que ceux qui avaient lutté contre le régime en raison de leurs convictions marxistes, le sont également, accusés d’être communistes et athées. La plupart des artistes qui échappent à la prison décident de fuir l’Iran ou d’en finir avec la vie, ne supportant plus la guerre ou la pression psychique que le régime exerçait alors sur eux.


Vient ensuite la guerre contre l’Irak et l’embargo économique américain, période pendant laquelle l’Iran ne dispose plus de fonds à consacrer à la culture. Au début des années 1980, le théâtre iranien est d’abord et avant tout un outil de propagande religieuse. L’État apporte son soutien à des spectacles destinés à toucher le plus possible de spectateurs. Pour contourner la censure, les rares écrivains et metteurs en scène indépendants travaillent à des pièces aux sujets mythologiques ou symboliques, à mille lieues des préoccupations quotidiennes des Iraniens aux prises avec huit ans de guerre. La population était alors trop préoccupée par sa propre subsistance pour s’intéresser au théâtre ; les artistes du théâtre se tournent quant à eux vers le cinéma, domaine dans lequel ils pouvaient au moins satisfaire leurs besoins financiers.
Neuf ans après la fin de la guerre, en 1997, Mohamad Khatami est élu président. Il entre dans l’arène politique sous la devise « construction culturelle et démocratie » et réhabilite la culture et la civilisation de l’ancienne Perse. Depuis la révolution, l’État avait entièrement désavoué cette civilisation qu’il considérait comme un héritage du régime précédent, en raison de son instrumentalisation par le shah. Lorsque Khatami accède au pouvoir, les artistes du théâtre retrouvent le chemin des salles de spectacle, le poids de la censure diminue fortement, et les sujets symboliques et mythologiques des spectacles sont remplacés par des thèmes liés aux préoccupations quotidiennes de la population iranienne. De nombreuses nouvelles troupes de théâtre voient le jour, parmi lesquelles le Mehr Theatre Group de Chiraz.


Le Mehr Theatre Group propose à l’époque une vision du théâtre sensiblement différente de celle des critiques et du milieu théâtral de Chiraz, ville située à quelque 900 kilomètres au sud de Téhéran. Lors de ses répétitions, il accordait beaucoup d’importance au silence, à la concentration et à l’analyse du jeu d’acteurs dans le cinéma occidental des années 1960 et 1970 (en raison des différents embargos politiques et économiques, la troupe disposait seulement de copies illégales de films contestataires réalisés par des cinéastes européens et américains de ces années-là – Martin Scorsese, Ingmar Bergman et Andrzej Wajda). Comme ses membres étaient jeunes, inexpérimentés et éloignés des tendances théâtrales en vogue dans la capitale, la compagnie développe son propre style, qui apparaît dès ses premiers spectacles. Pendant une année, un théâtre bien équipé de Chiraz est d’ailleurs mis gratuitement à sa disposition.


Oeuvre théâtrale de Koohestani


Comme beaucoup de spectacles du Mehr Theatre Group, la première pièce d’Amir Reza Koohestani, The Murmuring Tales (1999), est mise en scène de manière réaliste. (Certains membres de la compagnie allaient se distancier d’une telle approche par la suite.) Dans ses créations ultérieures, le réalisme de l’action contraste avec le surréalisme du décor et du texte.


La scénographie est un élément clé dans le travail de Koohestani. La plupart du temps, il ébauche le décor avant même de commencer à écrire le texte. Dans Dance on Glasses (2001), une pièce sur la relation entre un garçon et une fille, il installe les acteurs aux deux extrémités d’une table de quatre mètres de long, mettant ainsi en évidence l’impossibilité d’une réelle communication entre eux. Dans cette pièce, l’auteur cherche à créer des personnages et des dialogues en adéquation avec l’immobilité et le silence qu’il veut installer sur scène. Pendant la représentation, les spectateurs, à l’instar des personnages, sont répartis suivant leur sexe en deux groupes placés face à face. Si ces deux groupes peuvent sembler complémentaires, ils sont incapables de communiquer entre eux. Lors des représentations de Koohestani, les spectateurs sont installés près de la scène, ce qui leur permet d’entendre les acteurs chuchoter : ils se retrouvent ainsi dans la position de voyeurs en train d’épier la solitude des personnages. C’est particulièrement perceptible dans Dance on Glasses, Recent Experiences et Quartet: A Journey to North.


Le thème de l’incommunicabilité est abordé selon d’autres perspectives dans les pièces plus récentes de Koohestani. Dans Einzelzimmer (2006), une mère et son fils parlent de leur relation difficile, mais aucun d’eux ne peut entendre ce que dit l’autre. Lorsque les personnages de la pièce Amid the Clouds (2005) désirent exprimer leurs pensées et sentiments secrets, ils se détournent de l’acteur assis en face d’eux et s’adressent au public. Dans Dry Blood and Fresh Vegetables (2007), longue conversation téléphonique ininterrompue entre une mère et sa fille, les personnages passent l’un à côté de l’autre sans se voir. Si les protagonistes restent généralement assis dans les spectacles d’Amir, ceux de cette pièce sont sans cesse en mouvement. Dans Dance on Glasses et Quartet : A Journey to North, l’immobilité des personnages fait allusion au sentiment de honte qu’ils partagent. Ils ne sont pas contraints de rester assis, il leur manque sans doute la force de se lever.


Amir écrit des textes très réalistes. Il n’essaie pas d’impressionner le public par un langage châtié, mais recourt plutôt à la langue de tous les jours et fait même exprès d’écrire des phrases incorrectes. En préparant Quartet : A Journey to North, par exemple, il a de temps à autre modifié les dialogues car il les trouvait trop parfaits, trop corrects ou trop nets.


Mahin Sadri – 2008

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