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Purgatoire à Ingolstadt

+ d'infos sur le texte de Marieluise Fleisser traduit par Kevin Keiss
mise en scène Maëlle Poésy

: Note de traduction et de dramaturgie

La rage et l'entêtement des personnages de Purgatoire à Ingolstadt proviennent de leur quête éperdue d'espoir. La pièce de Fleisser est écrite dans une langue âpre où les mots sont des flèches tirées pour repousser le monde qui aliène la jeunesse. La traduction de la pièce vise donc tout d'abord à rendre la puissance de la charge orale de ce texte. À rendre audible ce qui est sous-jacent. Car ce qui est dit n'est qu'une partie de ce qui est pensé et la force du texte réside dans cette capacité de suggestion de ce qui est contenu par-delà les mots. Cette impossible formulation du monde. Dès lors, les mots sont des munitions qui blessent ou qui sauvent, à l'image des relations que tissent les protagonistes. Ce qui est vécu et ce qui est dit porte la charge de tout ce qui est contenu, pulsionnel et secret. Ici, point de grandes tirades lyriques ou de descriptions sociologiques. L'urgence ne le permet pas. C'est une course contre le monde. Il y a une nécessité vitale à trouver comment espérer, comment vivre. Comme le dit Roelle, le personnage principal : « Quand on est prisonnier de quelque chose, et je dis, moi, que c'est depuis toujours, on a bien le droit d'espérer autre chose, mais quand cet autre chose, cet ailleurs spirituel, on n'arrive pas à l'imaginer... (...) Ça ne peut pas vous venir de l'extérieur. L'aide, la vraie, il faut déjà l'avoir en soi. Et moi, c'est simple, je l'ai pas. On dit aussi que c'est la malédiction d'une génération. » Autre point caractéristique de la langue de Fleisser, cette façon de parler par salve, comme si la parole sortait soudain, presque malgré soi, comme si elle n'était pas entièrement maîtrisée. On dit la chose avec assurance mais elle agit par ricochets. On veut faire mal mais c'est soi qu'on blesse. On veut faire bien et on échoue.


Personne ne peut s'échapper de nulle part. Tout le monde est observé et doit sans cesse rendre des comptes de ses agissements. Les temps romantiques sont révolus. La quête du moi, la remémoration d'une grandeur déchue, Fleisser n'en a que faire. À la manière des romans de Kafka ou des nouvelles de Zweig, les monstres viennent de l'extérieur. Ils sont ces forces de l'aliénation présentes à tous les étages de la société et qui empêchent de vivre avant même d'avoir vécu. La famille, la religion, la science, sont autant d'éléments absurdes qui dépossèdent la jeunesse d'elle-même à tel point qu'elle ne sait plus quel sens donner aux choses. Elle tente comme le dit Mallarmé de « reformuler les mots de la tribu ». Ces monstres sont la société, l'histoire. Toutes les catégories existentielles changent de sens : qu'est-ce que la liberté d'action si elle est illusoire comme celle d'un K. ? Qu'est-ce que la jeunesse si elle sait qu'elle paye, déjà, pour des crimes qu'elle n'a pas encore commis ? Où faut-il aller ?
Purgatoire à Ingolstadt résonne comme un cri, une bouteille jetée dans le grand océan du 20e siècle et qui prédit que si rien n'est fait pour cette jeunesse, elle se retournera sur elle-même, retournant au monstrueux qui l'a engendrée.

Kevin Keiss

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