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Parasites

mise en scène Vincent Hennebicq

: Note dramaturgique

Parasites


Le titre nous dit déjà beaucoup des personnages de la pièce, parasites qu’on ne voudrait ni voir ni entendre et qui pourtant surgissent de tous les côtés.


Défintion : 1. En biologie, un parasite est un organisme vivant qui se nourrit, s'abrite ou se reproduit en établissant une interaction durable avec un autre organisme (l'hôte). Parmi les parasites sont classés les mutualistes, qui ont une relation de profit mutuel. · 2. Terme social identifiant un individu qui profite d'autres personnes (écornifleur).


Nous ne pouvons nier que nous dépendons toujours de quelqu’un d’autre. Ici, Von Mayenburg développe cette idée dans l’intimité d’un couple, dans l’intimité d’une famille.


Venons en donc à l’histoire : Friderike ne pense qu’au suicide, elle vit avec Petrik qui s’intéresse plus à son serpent qu’aux fantasmes morbides de sa compagne. Après une énième tentative, Friderike se retrouve chez sa soeur Betsi, qui s’occupe déjà de son petit ami Ringo devenu paraplégique des suites d’un accident de voiture. Le responsable de cet accident, Multscher, est un vieil homme qui ne supporte pas le poids de sa culpabilité et qui va tout faire pour trouver le pardon.


Le génie de Mayenburg réside pour moi dans le fait que les situations soient drôles, simples, facilement identifiables, et donc nous rapprochent intimement de ces êtres que nous aimerions considérer comme des monstres. Ils nous ressemblent étrangement, avec le petit plus qui nous permet d’en rire.


De plus, cette pièce est un véritable défi de mise en scène, pas de didascalies, pas de découpages en actes et scènes, on est directement plongés dans le feu de l’action par une succession de scènes très courtes qui nous donne presque le vertige (pas moins de 80 scènes). Pas de « début » ni de « fin » mais des tranches de vie plus ou moins extrêmes qui nous plongent dans le quotidien de deux couples et d’un homme prêt à tout pour se racheter, se déculpabiliser… Au centre, les relations sociales, les souffrances, et la parole.


Solitude et repli


« Multscher - Et les autres gens ? Ringo - Il n’y a pas d’autres gens. Nous sommes les derniers à être encore en vie. »


Dans la pièce, il n’a pas de réels « événements », pas de drames, le suicide par exemple est complètement banalisé, en fait les « événements » sont toujours l’arrivée de l’autre, la tierce personne qui vient mettre en branle notre petit monde. Le drame, c’est l’arrivée de la soeur de Betsi dans le couple, dont Ringo craint qu’elle n’attire plus l’attention que lui, ou encore l’arrivée de Multscher, cet étrange personnage prêt à donner sa vie pour se racheter ; mais par dessus tout celui qu’on rejette c’est l’inconnu avec lequel vivait Friderike, pour lui les portes de la maison sont condamnés, car personne ne le connaît et tous ont donc peur de ce dont il serait capable.


Chacun de ces êtres est tiraillé entre les frustrations engendrées par sa propre morosité et l’incapacité de fuir l’autre. Par peur de devoir se créer une nouvelle existence. Car même le pire des berceaux est un lieu rassurant.


Une surréalité féroce


A notre époque l'horreur et la bouffonnerie se côtoient jusqu'à se contaminer. On ne distingue plus ni bien ni mal, ils se nourrissent. Il ne peut plus y avoir de dialectique, nous sommes de plus en plus dyslexiques, au niveau de la pensée comme au niveau des sentiments. La réalité est un produit, qui ne peut nous appartenir et sur lequel nous n’avons pas prise. Andy Warhol conseillait d'imaginer qu'on a une caméra au-dessus de la tête quand il nous arrive un coup dur dans la vie … Et aujourd’hui la caméra est omniprésente et elle pollue même les moments de bonheur ! Alors, que faire de nos vies ? Chacun peut se poser cette question, il n’y a aucune certitude à part bien sûr que nous sommes nés et que nous allons mourir. Dans la pièce, c’est le rapport individualiste qui est questionné, faut-il se guérir du monde en s’isolant ? En cela la paraplégie de Ringo, par exemple, est une chose qui l’arrange parce qu’elle lui offre la possibilité de ne plus penser qu’à lui et ses problèmes.


Ce qui est inquiétant dans « Parasites » c’est que tous sont potentiellement des monstres, ils sont absolument tous victimes et bourreaux, et cela les rend paradoxalement profondément humains et extrêmement touchants. Ils sont les produits de la misère morale, d’une société à la dérive, d’une époque malade. A aucun moment le monde extérieur n’est représenté, mais c’est ce qui le rend à mon sens d’autant plus présent.


La peur et l’autre


Tous les personnages vivent en marge, repliés sur eux mêmes, Ringo, en fauteuil roulant essaie de s’accrocher à un monde rêvé où « nous sommes en sécurité », où rien ne peut venir troubler son petit monde ; sa femme Betsi est comme son infirmière, son rôle est d’être « gentille » avec son malade et de faire en sorte qu’il n’ait pas peur. Pourtant, c’est bien la peur qui va faire basculer tous ces personnages, quand Ringo réalise que quelqu’un lui ressemble, qu’il n’est pas le seul à souffrir, c’est un constat terrible et il va se livrer à une véritable lutte pour reconquérir ce qu’il considère comme son « havre de paix ».


C’est au fond une pièce sur la peur, la paranoïa et l’incapacité à décider combien les menaces qu’on imagine sont réelles, combien elles sont renforcées par des peurs fantasmatiques. La peur de sa propre chute, c’est aussi la peur que les murs qui nous protègent ne vont plus résister à la pression de l’extérieur. La peur de sa propre chute dans la société, la peur que l’autre s’en aille, la peur de l’effondrement de nos systèmes sociaux, finalement la peur de devoir faire face à l’absurdité de sa propre existence. C’est ainsi que les personnages se réfugient dans l’humour, le cynisme et engagent des combats superflus pour ne pas avoir à faire face à leurs vrais problèmes tout en se sentant exister, car si on est un parasite pour un autre, c’est bien qu’on est vivant, non ?


Suicide et expérience de mort


Nous ne faisons jamais l’expérience de la mort.
Pourtant comme le dit Fassbinder : « Nos relations avec les autres sont des jeux cruels, parce que nous ne voulons pas reconnaître notre fin comme quelque chose de positif. Elle est positive parce qu’elle est réelle. La fin est la vie concrète. Le corps doit comprendre la mort. Ce que les gens inventeront alors, ce sera passionnant. » Dans la pièce, cette idée est claire et le suicide est un leitmotiv qui revient sans cesse, parce qu’une fois cette idée de mort acceptée, cela devrait rendre à chaque existence une vitalité, une liberté et une force dans le combat pour quelque chose d’autre, une chose qui, de manière constructive, donne du sens là où il n’y a pas de sens. En un mot, éprouver l’angoisse comme une joie libérée.


Ce sont en tout cas les objectifs que nous nous sommes fixés dans la mise en scène. En mettant les corps aux prises avec leur solitude et avec le besoin irrépressible de dépasser cet état de stagnation et d’auto-destruction.


Toujours dans cette idée de vitalité désespérée il s’agirait de mettre en place pour chacun de ces personnages en apnée des bulles d’oxygène, des moments presque « fantasmés » qui nous éloigneraient un instant du récit pour mieux nous y faire replonger.

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