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Parasites

mise en scène Vincent Hennebicq

: Note d’intention

J’ai lu « Parasites » une première fois il y a presque dix ans, et depuis l’envie de la monter ne m’a pas quittée. J’ai rarement lu une pièce qui en si peu de temps était capable de me bouleverser, de me faire rire, et de m’interroger sur les rapports sociaux que nous étions forcés d’entretenir dans le monde d’aujourd’hui, des rapports de force, de désespoir, chez des êtres à bout de souffle qui prétendent à quelques instants de rédemption. Je pense que cette pièce a du sens car elle ne donne pas de réponses, mais montre ce qui se cache derrière les choses.


La solitude urbaine ne cesse de s’accroître, et tout est fait pour que nous pensions l’univers avant tout pour nous-mêmes, impossible d’imaginer un « tout », un espace peuplé « d’autres ». Nous mangeons face contre des vitrines, recherchons le contact virtuellement, et cherchons avant tout à nous protéger, nous sécuriser.


Dans la pièce de Von Mayenburg, les êtres dépeints sont écorchés, mis à nu, ils recherchent désespérément un « accident » un choc… Chacun à leur façon ils sont hors du monde, enfermés dans leur appartement ou dans leur culpabilité, et ils ont un besoin décisif d’exister. Chacune des scènes, chacune de leurs rencontres, leurs « collisions » sont des tentatives de ressentir quelque chose, quoi que ce soit, mais une preuve qu’ils sont toujours en vie.


« - Mais alors que vous reste-t-il ?


- Moi ? (silence) Une vitalité désespérée. » (Pasolini)


« Parasites » offre la possibilité d’ouvrir une fenêtre à l’intérieur de familles où les tensions, les conflits sont « extrêmes » : ici, une femme vit avec le poids de la paraplégie de son compagnon, là, un jeune homme est constamment sous les menaces de suicide de sa petite amie. Von Mayenburg exacerbe des situations quotidiennes, et dessine un univers éprouvant, pourtant la force des dialogues et des situations nous rend extrêmement proches de ces êtres en perdition pour qui l’envie de crier, de trouver une oreille, est devenu trop fort. Car malgré ces situations d’une terrible cruauté, les personnages ne sont pas désespérés mais plutôt dans la quête d’un ailleurs ; ils refusent la vie telle qu’elle est parce que pour chacun d’entre eux une vie meilleure devrait être inventée. Et c’est surtout cet axe que j’aimerais développer, je viens de la région de France où il y a le plus de suicides et de chômage, pourtant ce qui me marque chez les personnes que je connais et qui sont marqués par ces fléaux, c’est qu’il y a peu d’apathie, ce sont au contraire des personnes trop pleines d’énergie, de vitalité, qui cherchent à s’écorcher à la beauté du monde, qui se consumment jusqu’à ce que ce soit parfois fatal. C’est la lutte qu’ils livrent au quotidien qui me fascine, et la force de vie qui entraîne toutes sortes d’excès.


Je pense également que cela peut entrainer un formidable moteur de jeu, je ne peux nier que je suis avant tout acteur et qu’il y a là une véritable matière à jeu où ce sont les comédiens qui s’emparent du plateau car comme les personnages qu’ils représentent, ils ont un besoin capital de trouver un espace d’expression. Ainsi, j’ai décidé de travailler cette pièce dans le cadre d’un atelier de 20 jours à l’épongerie à Bruxelles, j’avais besoin de me confronter à cette matière de l’autre côté du plateau, et de jour en jour mon envie est devenue une évidence.


J’entretiens avec ce texte un rapport très intime, la construction de soi dans le chaos du monde est une chose qui me hante. Je repense aux images terribles d’immeubles écroulés, et de personnes entassés qui courent de plus en plus vite dans des documentaires comme Koyaanisqatsi de Godfrey Reggio et pour moi le lien est évident. La force de cette pièce réside également dans l’écriture des petits riens du quotidien qui nous façonnent. Chacune des scènes nous plonge dans l’aspiration à l’existence d’un être humain en manque de repères. Ce sont des situations dans lesquels je peux facilement me reconnaître, et cela me terrifie.


J’aimerais d’ailleurs aller encore plus loin et me servir de ce texte comme « prétexte » à quelque chose de plus métaphorique, de plus grand sur le combat de ces perdants pour l’obtention d’un ailleurs. Jouer de l’horreur qui émane malgré eux pour rendre d’autant plus visible la quête d’un autre monde.


Comment me situer par rapport à ce monde ? Comment ne pas être le parasite de quelqu’un d’autre ? Comment être plus solidaire, moins seul, moins égoïste ? Comment trouver la force de vouloir un enfant ? Dans quel monde ? Comment assumer la culpabilité omniprésente ? Comment rencontrer l’autre ? Les questions que me posent ce texte sont existentielles et abyssales, pourtant « le sens de la vie supprimé, il reste encore la vie » (Camus) et je trouve ce texte fantastiquement vivant, fort, jouissif et cathartique. D’où mon besoin de le voir représenté sur une scène de théâtre, les situations et la langue sont trop jouantes et révèlent des mécanismes de comédie implacables.


Le travail effectué à l’épongerie a permis de trouver des moyens de raconter l’histoire, mais nous sommes restés sur notre faim. Nous commencions à poser les bases du travail quand le temps fut écoulé. Nous avons tout de même décidé de « représenter » notre travail à trois reprises et bien que cela fut dense et extrémement enrichissant, je reste sur l’impression d’avoir « esquissé » ce que pourrait être ce spectacle et j’aimerais aujourd’hui le voir grandir, respirer, et témoigner de ce que je considère comme essentiel aujourd’hui. Cette étape de travail a un grand avantage puisqu’elle nous permettra d’éviter certains dangers, de plus les acteurs ont pu « faire descendre » cette matière difficile et sont maintenant prêts à l’offrir généreusement.

Vincent Hennebicq

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