: À propos du texte
Par Frédéric Vossier
L’inceste ?
Une catastrophe familiale, psychique, anthropologique.
Christine Angot, dans ce livre, y revient. Parce que ce n’est jamais fini. Parce que l’inceste est une déflagration qui
anéantit l’identité et que l’écriture est peut-être le véhicule qui permet de retrouver quelque chose de soi, malgré
son anéantissement.
Le Voyage dans l’Est est cette tentative de voir au plus près ce qu’il s’est passé sous l’emprise de ce père qui a
soumis sa fille de quatorze ans à l’inceste. Un inceste qui reprendra, quand elle sera majeure.
Réécrire, revoir, revenir sur les faits, les actes, les mots.
La rétrospection précise, acharnée, scrupuleuse. Un geste d’écriture forcément âpre, obscène, insoutenable.
Elle écrit : « Il faut voir les choses. Les savoir. Les faire exister dans sa tête. » Sinon, c’est le chaos. Sinon, la
subjectivé, massacrée par l’inceste, ne parvient pas à mettre du sens sur l’existence, à trouver son désir pour
persévérer dans son être. Sinon, c’est une vie de spectre.
Parce que l’inceste, c’est déposséder la vie de quelqu’un, condamnée à une existence de spectre, composée
d’angoisse et d’épuisement.
Christine Angot, dans ce texte, évite la trame romanesque comme la restitution factuelle des choses. L’enjeu est
beaucoup plus vital et profond : revenir, pas à pas, sur les points de vue occupés par la victime, le sens et le
combat mené contre ce qui arrive, contre ce qui lui tombe dessus, comme la foudre. C’est la pensée, souterraine,
active, hyper-vigilante, la tension permanente, exténuante de cette pensée qui cherche un sens, un arrangement,
une évasion, une liberté avec les actes incestueux du père. C’est la « solidité d’un point de vue, des points de vue,
successifs, leur évolution, leur coexistence » face à l’horreur. C’est cette quête de solidité qui fait acte de littérature.
Le Voyage dans l’Est est un regard puissant qui décrit ce champ de bataille qu’est devenu la conscience. Car la
subjectivité résiste, n’a de cesse de résister, au bord de dire « non ». Au bord de révéler les actes. Au point de le
faire, enfin. Au point de l’écrire. De le réécrire.
La singularité de cette parole tient dans la rétrospection de ce champ de bataille. L’examen clinique et moral
qu’il déploie. L’examen du rapport difficile, parfois impossible, entre les mots et les choses. Comment les mots
peuvent-ils saisir les choses au moment où elles ont lieu ? Avec quels mots peut-on changer le désordre des
choses ? Comment parvenir à la vérité des choses quand on les pense ? L’écriture est ce travail de montage entre
les mots lumineux de la littérature et les choses destructrices de la vie.
Le plateau doit pouvoir faire entendre la tension de ce champ psychique, entre vie et mort, entre confusion et
lumière. Il est un lieu d’exposition : celui justement du montage entre les mots et les choses. Le lieu du courage
de la vérité, au risque de choquer. Il est le lieu du risque.
Stanislas Nordey, dans sa radicalité théâtrale, aime ces risques. Il cherchera à capter et révéler la précision
clinique et l’intransigeance critique de cette langue dont la quête forcenée, d’une humanité implacable, trouble
et ravage le sens commun. Il poursuit un de ces chemins qui le mène toujours à des oeuvres sans concession,
touchant des catastrophes humaines dont la littérature essaie de dégager une issue lumineuse, si mince soit-elle,
celle du courage de vivre.
- Frédéric Vossier, novembre 2022
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