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Le Voyage à La Haye

+ d'infos sur le texte de Jean-Luc Lagarce
mise en scène Olivier Coyette

: Fourbu, la nuit tombée

par Olivier Coyette

A l'occasion d'une soirée en hommage à Jean-Luc Lagarce donnée à Théâtre Ouvert le 26 mars 2007, Olivier Coyette a écrit et interprété ce texte dans lequel il revient sur son rapport à l'écriture de Lagarce.

Jean-Luc
– moi aussi je t'appelle Jean-Luc
sans t'avoir pourtant connu
ni rencontré ni croisé
et n'ayant vu aucun de tes spectacles –
tu avais formulé cette ligne de conduite :
« arriver fourbu, la nuit tombée,
mais arriver
par sa propre et orgueilleuse volonté »
et là où tu es arrivé
sans doute
c'est d'un œil amusé
que tu regardes les cérémonies
de « l'année Lagarce ».
D'un œil ému aussi peut-être.
Je t'écris depuis la nuit calme d'un hôtel
Il est quatre heures du matin
Entre Limoges et Amiens
Tu vois je marche sur tes traces
En traversant la France
Et ne m'arrêtant pas
A Belfort j'ai bien pensé à toi
La chambre d'hôtel était bien triste
Bien laide
Et même un peu sale
Et partout dans la ville
Les situations que nous vivions
Me poussaient à penser :
« C'est du Lagarce. »
J'ai vu ce que c'était qu'une ville de garnison.
A quoi ça pouvait ressembler.
Sur le « parvis » du Granit je me suis recueilli
Ecoutant la rivière
– je ne la voyais pas il faisait nuit
lorsque nous sommes arrivés –
et le dernier soir
Lili est entrée dans les loges
Avec à la main un cabas
Dont je me suis moqué
A l'intérieur il y avait du champagne
Pour nous fêter et nous congratuler
– de honte je n'ai osé en boire.
Je dis « nous » et tu sais immédiatement de qui je veux parler
Je crois que c'est pour ça que je t'admire Jean-Luc
Pour ce « nous » que tu as su faire exister autour de toi
Maintenant au plus haut l'exigence de ton écriture
Et l'accordant à la solitude dont tu faisais ta Loi.
Chez Mireille en préparant la mise en scène du Voyage à La Haye
Nous avons regardé des photos de toi
Etonnantes
Et belles
Où tu sembles être toujours
Comme en apesanteur
A la fois là
Et ailleurs
Dans un mouvement perpétuel
Tu étais un arpenteur qui insiste
Je crois
Qui laboure toujours au même endroit
De ta langue et de ton monde
A creuser
De plus en plus profond
Pièce après pièce
Et correction après correction
Chez toi toute lecture est toujours déjà une relecture
Et toute écriture aussi peut-être une réécriture
Et donc tu arpentes
Tu erres
Et tu meurs en vivant
Sur ton chemin d'insistance
Qui a fini par payer tu vois : tes pièces sont jouées
Mais plus que ça : lues, relues, aimées.
Et découvertes en permanence.
Nous sommes ici pour fêter cela.
Ton heureuse insistance
Dans le paysage théâtral français !



Et tu sais
Dans Le Voyage à La Haye tu parlais
D'une « gêne à l'œil droit » qui t'empêchait
« de lire et d'écrire et arrivait presque à m'écœurer ».
Souvent je ne peux m'empêcher de penser
Que tu fus toi-même cette gêne à l'œil
Du théâtre français.
Qui aujourd'hui se met à voir…
Mais « nous ne faisons qu'insister, pas résister »
Comme l'a écrit Olivier dans ses Illusions.
Cependant c'est ton chemin d'insistance
Qui a généré cela.
Dans la mise en scène du Voyage je tenais absolument
A ce qu'une neige fine tombe sur toi en train de lire un livre
Parce que pour moi cette neige
C'est toi.
Toi encore qui me pousses à écrire ce soir,
A écrire mon poème en marchant,
Après une première semaine éprouvante de répétitions
Et dormant ce soir encore, une fois de plus, loin de chez moi.
Avec Olivier je peux le dire tu es le phare dans la nuit
Qui me permet d'avancer.
Je voudrais te dire merci pour ça.
« J'allais très mal, je ne m'en rendais peut-être pas très bien compte
tout seul, de moi-même, comme les autres fois où déjà
je n'avais pas voulu entendre
– nous n'allions pas reparler de ça –
mais nous étions,
j'aimais beaucoup ce “nous”,
lui et moi,
eux et moi,
nous étions au bord de l'accident grave.
Moi plus qu'eux, non, moi plus que vous,
J'ai dit cela pour détendre l'atmosphère
Mais personne n'a ri,
Nous n'avons pas insisté. »


Olivier Coyette
18 février 2007

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