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Le Traitement

+ d'infos sur le texte de Martin Crimp traduit par Elisabeth Angel-Perez
mise en scène Anne Courel

: Intentions de mise en scène

Comme d'autres dramaturges de sa génération, Martin Crimp nous parle d'un monde "post humain", un monde où l'irréparable a été commis, où les sujets sont - traités comme - des objets.


Le théâtre – entre autres – y perd la raison. Ce n’est plus l’heure de se gausser d’une contemporanéité face à laquelle nous restons les bras ballants ou de prétendre stigmatiser un ou plusieurs groupes sociaux dont il serait habile de désigner les travers.


"Le traitement" n'est donc pas une succession de tableaux - vivants ou morts - et encore moins une comédie de moeurs.


Pour moi c'est un processus, une machine en action que Martin Crimp me permet d’explorer.


Dès lors il m’appartient - avec l’équipe – d’en mettre à nu les rouages avec précision.


En homme de théâtre accompli, Martin Crimp nous offre une pièce "welfare" avec une ligne narrative forte, un début-un milieu-une fin, une intrigue repérable.


Cependant - alliant ironie et talent - il nous rit au nez! le personnage principal est ... le sujet de la pièce.


Le texte lui-même est soumis à traitement. La représentation est en gestation sous nos yeux.


Pourtant, on est résolument au théâtre.


On suit pas à pas la pièce en train de se faire à partir du matériau vivant: le corps et l'histoire d'Anne, les rêves déçus de l'auteur et ceux - de gloire - de l'acteur, les fantasmes des producteurs, l'appétit de victoire des uns et des autres SUR les uns et les autres!


Emules de Procuste, Jennifer et Andrew les deux soit-disant "facilitateurs" qui traitent Anne – entre autres – taillent dans le vif des sujets au nom de l'art (ou du commerce di celui!)


On est dans l'ère spectaculaire où il semblerait qu'il faille saigner les autres à blanc pour gagner, écorcher les corps sous les yeux des spectateurs pour que le show puisse continuer.


Jusqu'où?


Toute la pièce est traversée par la question de la représentation de la réalité.
Le rôle du théâtre est partout interrogé jusqu’à la maltraitance.


Il s’agit d’agir sur scène la violence du dehors avec humour et cruauté sans démonstration ni débauche d’hémoblobine, en plongeant au coeur des dynamiques à l’oeuvre.


Les bourreaux sont là où je les vis, du côté du politique - politiquement correct ou non - , du fric et du verbe haut.
Les passages à l’acte sont peu nombreux au regard des faits de langage et autres abus du même genre, mais ils sont tragiquement emblématiques de notre impuissance et de nos aveuglements consentis.


Qu'il s'agisse de l'interrogatoire presque gestapiste que subit Anne au début ou de l'orchestration du détournement qui sera fait de son histoire, la machine infernale avance à coup de mots en spirale très serrée.


Chaque virgule a son importance; la bataille se gagne à coup de phrases tronquées, changements de sujet, de cap dans la conversation, de ton, abandon d'un interlocuteur au détour d'une séquence … C'est un travail de dentellière, précis, clinique sur les sons, les mots, les adresses.


Pour Martin Crimp les dialogues représentent toujours une menace potentielle.


J'ai envie de prendre cette affirmation très au sérieux, d'interpréter tous les dialogues comme les partitions de duos et trios où tous les paramètres de l'élocution devront être travaillés et notés comme autant de signes constitutifs de l'action de mot afin que surgisse la violence et la force qu'elle suppose.


Je crois que c'est la condition pour qu'en surgisse le sens, sans l'enclore, dans l'entre deux, l'intervalle où se produit le frottement des répliques.


Dans ce monde les sujets n'existent qu'à condition d'être capable de manier le langage comme une arme, au dépens des autres ou pour se protéger d'eux.


Parallèlement à ce travail rigoureux sur la musicalité de la langue, indissociable des scènes "fermées" (bureau, restaurant, loft ..) la pièce appelle selon moi un travail aussi précis sur la proxémique.
L'important n'est pas le lieu où ça se passe, mais la façon dont on se place les uns par rapport aux autres pour mieux attaquer ou se prémunir.
A cet endroit là du "traitement", on est proche des "comédies de menace" d'Harold Pinter.


Le décor doit permettre ce travail. Ce seront deux scènes dont je pourrai me servir comme de surfaces d'opération, impersonnelles, nettes et lisses - les tortionnaires compétents ne laissent pas de traces - maniables au gré des besoins, permettant de raconter d'abord la gestion de l’espace de l’(inter)locution. Chacune sera équipée pour qu'on puisse au maximum les traiter en lumière.


Enfin Martin Crimp nous propose une spirale, un mouvement circulaire à respecter.
En alternance avec ces scènes "encloses", les espaces-temps sont beaucoup plus larges et peuplés (métro, rues, parc …).
Je pense que la bascule entre les scènes prend du coup beaucoup d'importance en terme de rythme. Du bureau à Canal street nous faisons de grandes embardées, l’auteur nous invite à donner de grands coups de volant.


Il dit préférer les allegro aux andante!


En effet, dans cette histoire il y a un autre personnage très important – et très agité - , c'est N.Y.!
La ville, tentaculaire, impressionnante Elle existe dès qu'on met le nez dehors.


Là encore aucun naturalisme ne me semble de mise.
C'est la capitale du pays "of the last things" que Paul Auster nous invite à découvrir avec Anna Blume. Elle est hallucinée – et hallucinante - sillonnée par des chauffeurs de taxi aveugles, délirante au sens propre.


J'ai envie qu'elle soit également traversée par les illusions de la société dite du spectacle, qu'elles y rôdent comme des fantômes.


Ces passages seront beaucoup plus oniriques que les précédents, à l'image du bruit et de la fureur de la jungle où se jette Anne en passant la porte de son appartement avec sa vraie vie pour seul viatique.
Je voudrais que nous y apparaisse en creux – mais bien réelle – cette femme-là, vraiment là, avec dans ses mains, les lambeaux de sa vraie histoire vraie.


J'ai envie que la ville se jette sur nous, qu'elle nous submerge et non qu'on s'y jette.
Elle m' apparaît d'abord comme un matériau sonore avec lequel jouer.
La bande son doit de construire sur l'impression que produisent le son du métro, les applaudissements à Central Park, les hurlements des klaxons et des sirènes, les cris à l'angle de Canal street et de Brodway etc...


De nouveau le réalisme n'a aucun intérêt. Cette ville est un personnage rêvé ou subit comme dans un cauchemar. C'est ce qui résonne dans la tête d'Anne et quelques protagonistes qui m'intéresse.


Par contre, dans les scènes d’intérieur, c'est sur les voix que pourrait se porter notre attention avec un léger travail de sonorisation mais pas de bande-son à proprement parler afin que prévalent les articulations entre les énoncés et leur circulation anormale ou déréalisée.


Cela veut dire des écarts importants et des alternances sans préambule entre l'austérité des trios et les déferlantes que j'imagine aux interscènes.


C'est en cela que la pièce avance comme un polar, avec ses accidents, des évènements tragiques subis et inexpliqués sur le moment, l'attente et le suspens qui en découlent.

Anne Courel

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