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: Entretien avec Gwenaël Morin

Entretien réalisé par Francis Cossu

Avant de nous pencher sur votre adaptation du Songe d’une nuit d’été, pourrions-nous nous arrêter sur son inscription dans un projet plus vaste, conçu spécialement pour le Festival d’Avignon, et dont l’intitulé est Démonter les remparts pour finir le pont ?


À l’invitation du Festival d’Avignon, j’ai d’abord réfléchi à quelle action concrète, quel service on pourrait rendre aux habitants de la ville. Et j’ai pensé que la première et peut-être la seule chose concrète à faire serait d’utiliser les pierres des remparts qui enferment la ville pour finir le pont qui fait toute sa popularité. Cette idée de Démonter les remparts pour finir le pont qui était, avouons-le aussi un peu, une blague provocatrice, est devenue un principe métaphorique qui dépassait le contexte de la ville pour devenir une sorte de devise ou de vocation d’artiste. C’est finalement le nom que j’ai voulu donner à mon engagement pour le Festival d’Avignon. Est-il possible de transformer le monde avec le théâtre ? Démonter les remparts pour finir le pont a vocation à devenir un répertoire constitué de « grands classiques » que je monterai avec une équipe composée à la fois d’acteurs et d’actrices fidèles et d’acteurs et d’actrices rencontrés à Avignon. La première pièce est donc une adaptation pour quatre interprètes du Songe d’une nuit d’été de William Shakespeare, que j’intitule de manière très fonctionnelle Le Songe. J’ai choisi cette œuvre car il y a dans la pièce un acteur qui joue un mur, le mur qui sépare les amants Pyrame et Thisbé et à travers lequel, ayant trouvé une fente, ils parviennent à se parler. Aucun mur ne résiste à l’amour. Ce répertoire se développera sur quatre ans. Les autres pièces qui le constitueront seront d’autres grands classiques choisis en fonction de la langue mise à l’honneur chaque année par le Festival. Le lieu où nous déploierons ce répertoire sera le jardin de Mons, qu’on appelle couramment le jardin de la maison Jean Vilar. Démonter les remparts pour finir le pont est aussi un hommage à l’utopie de Jean Vilar.


Le Songe d’une nuit d’été, qui est une comédie baroque, est traversée, comme aucune autre pièce de William Shakespeare, par le motif du désir. Comment l’avez-vous abordé ?


J’ai 53 ans, l’invitation du Festival d’Avignon est à la fois pour moi une reconnaissance et la possibilité d’une remise en cause. Qu’en est-il de ma nécessité profonde à faire du théâtre ? À chaque nouvelle mise en scène j’ai peur de ne pas y parvenir. Cette peur ne me lâche jamais et grandit avec le temps. Est-ce la peur de perdre l’innocence du premier regard, la peur de ne plus aimer, de ne plus savoir aimer ? Dans Le Songe d'une nuit d’été quatre jeunes gens, aux prises avec leurs désirs amoureux, fuient la société des hommes pour se perdre dans la forêt sauvage. De façon purement mimétique, je voudrais me perdre avec eux dans la forêt et découvrir, voire redécouvrir ce qu’il en est de mon désir de théâtre. Pour ce spectacle, j’ai alors convié quatre des acteurs et actrices avec lesquels j’ai vécu l’aventure fondatrice du Théâtre permanent d’Aubervilliers en 2009. Je veux avec eux courir une nouvelle fois le risque de faire quelque chose d’impossible en essayant d’adapter Le Songe pour quatre interprètes. Je crois qu’il n’y a de création authentique que dans la confrontation avec l’impossible. Mon rapport au théâtre est très existentiel. C’est avant tout une expérience de vie, une expérience humaine qui entre en phase avec la matière théâtrale et produit des formes artistiques. J’envisage le rapport à un texte en particulier comme un rapport de confrontation : un choc entre moi et les autres membres de l’équipe et le texte. De cette collision résulte un espace inédit de vie possible. C’est cette vie nouvelle qui anime le spectacle que nous présentons alors au public. Le désir est une force de projection incroyable. Dans Le Songe, cette projection se fait les yeux fermés. Nous vivons dans un monde de lumière bleue qui nous enjoint de garder les yeux ouverts, nous enrôlant presque malgré nous dans une surveillance de tous par tous en démultipliant les regards à l’infini. Fermer les yeux devient un acte de résistance. Cesser de voir avec les yeux pour voir avec l’imagination. Le théâtre ne nous donne pas à voir ce qui n’existe pas mais exalte notre imagination comme force transformatrice du monde. Imaginer n’est pas une fantaisie sans conséquence, c’est un acte responsable qui agit sur la matière même de la réalité. Dans Le Songe, Shakespeare dresse un portrait cruel et joyeux de cette force transformatrice. Ce que les personnages rêvent arrive vraiment. Cela peut sembler tendre et enfantin, et peut-être aussi un peu ridicule, mais Pyrame se tuera d’avoir imaginé Thisbé morte, et Thisbé se tuera à son tour retrouvant Pyrame suicidé de l’avoir crue morte. Aucun rêve n’est vain, même le plus insignifiant ou encore le plus noir. Je rêve parfois de la fin du monde et au réveil je trouve la force de tout recommencer dans un monde neuf.


Quand Shakespeare écrit Le Songe d’une nuit d’été, l’Angleterre est secouée par les conflits entre catholiques et protestants. Pour préserver l’ordre public, le pouvoir royal interdit les sujets religieux au théâtre. Pourtant il semble que la foi est fortement mise à l’épreuve par le désir amoureux de ces jeunes amants ?


En plaçant sa pièce à Athènes avant l’ère chrétienne, Shakespeare échappe à la censure mais, à mon sens, il traite d’une question éminemment religieuse : la question de la foi. La foi est une forme du désir, le désir de ce qui n’existe pas, le désir de dieu. Désirer c’est créer. Désirer est un acte d’engendrement. Croire est un acte d’engendrement quasi sexuel avec les dieux. Dans Le Songe, il y a un point de contact entre les hommes et les dieux incarné par le personnage de Bottom, et tout particulièrement lorsqu’il est transformé pour partie en âne, animal dont la réputation des parties génitales n’est plus à faire. Avec une espèce de centaure inversé, une tête d’animal pour un corps d’homme, Shakespeare devient comique, ridicule, grotesque, mais aussi lubrique, provocateur, dangereux dans la plus pure filiation dionysiaque faisant du théâtre un point de fertilité entre ce qui existe et ce qui n’existe pas.

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