: Note d’intention
Le Misanthrope est une comédie qui se termine mal.
Une mouche, prise au piège dans un
verre, se débat jusqu’à ce que ses
forces l’abandonnent. Elle se cogne
inlassablement contre les parois
transparentes, toujours dans l’espoir
d’accéder à la liberté. Alceste
me fait penser à cette mouche. Il
se débat, lui aussi, inlassablement,
incarnant la souffrance de l’humain
qui s’acharne à atteindre un idéal,
un absolu, n’acceptant pas ou ne
voyant pas les limites intrinsèques
de cette quête.
Cette énergie dépensée me bouleverse,
car elle met au jour son paradoxe,
témoignant d’une incroyable
volonté de vie dans un monde qu’il
ne supporte pas.
Alceste est blessé, orgueilleux,
tyrannique, utopiste, amoureux,
drôle… On rit de lui comme d’un adolescent,
mais il nous questionne :
n’avons-nous pas le droit de refuser
le monde tel qu’il est ? Il nous déstabilise
même, à tel point que par moments,
le public doit être désespéré
de donner raison à Philinte.
C’est dans ce foisonnement de sensations
et de pensées que se situe
pour moi la nécessité de monter
cette pièce et du théâtre en général
: ne pas se laisser gagner par
une schématisation ambiante de
l’être humain. Explorer toutes
ses ambiguïtés, ses incohérences,
ses contradictions. Embrasser les
humains dans leur complexité.
L’argument de la pièce est simple : il
s’agit d’un groupe de gens et de leur
façon d’être au monde. Dans notre
société, qui pousse à l’extrême le
culte de l’individu, le questionnement
intime sur le rapport à autrui,
que soulève la pièce, est d’une validité
tout aussi forte de nos jours.
Je pense que Alceste est un personnage
éminemment contemporain,
en ceci qu’il est dans un antagonisme
permanent entre son désir
individuel et les nécessités sociales.
L’homme sait-il mettre son ego de côté afin de s’ouvrir à l’autre ? Que penser d’un homme qui préfère être sûr de son malheur plutôt que d’espérer un bonheur incertain ? À quelle part de liberté faut-il renoncer pour rencontrer l’autre ?
Le temps de la pièce est pour moi le
temps de la crise d’Alceste.
J’emprunte ce terme au jargon
médical, où il signifie la phase
décisive dans l’évolution d’une
maladie. En effet, tout comme
la mouche, qui, au bout d’un
moment, s’épuise, je pense que
Alceste arrive à l’extrémité de
son combat et que le moment
du choix est inéluctable. Son
dénouement, qui ne se révèle selon
moi que dans les tout derniers vers
de la pièce, ne peut être ainsi que
radical : acceptation ou refus total
de son environnement. Ici se décide
de l’incarnation des principes
dans un monde qui les proclame,
tout en vivant de les enfreindre. Je
veux montrer à travers cette pièce
un processus, afin d’essayer d’appréhender
ce qui amène l’humain à
basculer dans l’irréconciliable, dans
l’irréversible.
Alceste vit comme un échec absolu la cupidité, l’hypocrisie et le mensonge de ce monde, qu’il rêvait honnête et vertueux. Comment nous arrangeons-nous avec nos déceptions et nos désillusions ? Lui, se retire du monde. Cette comédie se termine mal car pour moi cette issue est un échec. Alceste a voulu sauver le monde, il finit par le fuir. Or pour moi, il ne s’agit pas de le sauver, mais de l’affronter.
J’ai choisi de mettre en scène des comédiens, que l’on peut penser jeunes pour ces rôles – moyenne d’âge 25 ans (excepté Oronte et Arsinoé) –, car c’est la tranche d’âge où, de nos jours, il n’est plus question d’innocence ni même d’adolescence, mais où l’on est amené à se positionner vis à vis du monde qu’on est censé intégrer.
Mon but n’est pas d’honorer un «classique», mais de m’en servir pour parler des hommes et des femmes d’aujourd’hui.
Dimitri Klockenbring
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