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La femme n’existe plus


: Une comédie féministe

Il semble que le féminisme a ceci de commun avec l’écologie d’être un des combats politiques les plus rassembleurs et les plus ennuyeux.


Les plus rassembleurs, car rares sont ceux désormais à oser revendiquer à voix haute (quelles que puissent être leurs convictions profondes) le retour des femmes dans les cuisines. Et s’il reste des femmes pour défendre une vision traditionnaliste de leur condition, leurs porte-paroles féminines ne sont pas pour autant prêtes à quitter les tribunes pour retourner laver le linge de leurs époux.


Les plus ennuyeux, car les discours prenant des airs de donner des leçons, si profonds soient-ils, incitent à bailler d’ennui (quand ils ne provoquent pas le plus irritant agacement). Et les femmes elles-mêmes les plus convaincues finissent pas succomber à la lassitude quand il s’agit d’expliquer encore une fois des revendications que des dizaines d’années de lutte n’ont toujours pas suffi à imposer comme des évidences.


Pour Céline et Jean-Luc, l’humour est le meilleur remède à l’ennui ; il est aussi parfois la meilleure alternative au pamphlet pour défendre des idées ; il devient un argument massue, capable de remporter l’adhésion, autant dire une arme, dans le champ politique. Il ne s’agit pas de porter un regard satirique sur le monde politique, de tourner en dérision la politique, mais bien au contraire de revendiquer l’importance qu’on doit accorder à celle-ci et que nous voudrions tous lui voir endosser ; en traitant le féminisme avec humour, Céline et Jean-Luc ne convient pas le spectateur à s’en moquer, mais entendent, bien au contraire, montrer l’absurdité de tout discours, attitude, comportement et projet de société relevant d’une pensée sexiste. Et cette absurdité, si elle peut faire rire, n’en a pas moins des conséquences tragiques.


Évidemment, un humour qui, dans le contexte du féminisme, ne s’appuierait pas sur une pensée un peu étayée, n’aurait pas la portée de conviction suffisante. C’est pourquoi il se nourrira des réflexions profondes et brillantes - et souvent en totale opposition - de grandes figures du féminisme : figures historiques, comme Annie Le Brun, Simone de Beauvoir, Delphine Seyrig, Françoise Dolto, ou figures plus contemporaines, comme Virginie Despentes ou Alice Coffin. Toutes inspirent les personnages de la pièce, appartenant, eux, à notre monde contemporain - et à un futur proche qui pourrait en être extrapolé. La fiction les réunit et les confronte, en une cellule de dissidence que ces rebelles auraient formée au fond d’un égout pour contrer la dictature patriarcale.


S’inspirer du travail militant et intellectuel d'icônes du début du mouvement féministe en France, et le mêler à la pensée féministe actuelle, c'est s'appuyer sur la matrice fondamentale des années 70 pour interroger avec acuité notre époque contemporaine.


Au-delà du mélange des registres de langue que suppose une telle écriture, l’ambition de Céline et Jean-Luc serait d’emprunter à des genres différents, au thriller autant qu’au vaudeville, puiser à la légèreté de la comédie pour mieux préparer la langue glaçante du drame. La musique originale de Christophe Rodomisto suivra la ligne brisée de cette recherche.


Dans les réunions secrètes de ces quatre femmes – dont deux seront interprétées par des hommes, pour brouiller encore davantage les pistes et les genres – les joutes verbales brillent parfois par leur flamboyance, parfois s’embourbent dans les apories. Les quatre intellectuelles s’écharpent sur les concepts, prennent à témoin le réel, se heurtent à leurs propres contradictions, invoquent la sororité pour aussitôt la dénoncer comme racolage rhétorique, n’échappent pas à la mauvaise foi et, dans ces combats, perdent de temps en temps leur « i » d’icônes. Se déchirent sur le sort théorique à réserver aux hommes, se divisent sur le sort pratique qui en découle, soupesant la signification de leur propre passage à l’acte… au risque de transformer leur cave, lieu confiné de résistance, en vase- clos de la pensée roulant sur elle-même, et les enfermant sous terre.


Car le risque est réel, pour elles comme pour toute lutte idéologique, de se « couper du réel », de s’enfermer dans la théorisation des choses, sans prise sur l’action. On a pu reprocher à des intellectuelles comme Beauvoir de ne penser le féminisme que du point de vue de leur condition propre, qualifiée de bourgeoise, pour finalement s’embourber dans une bulle, un « entre-soi » : dans La femme n’existe plus, les quatre personnages se heurtent à la question de l’engagement, au fait de devoir mettre à distance le monde - en sortir - pour penser les rapports de domination qui le parcourent. Les résistantes que le spectateur voit se démener dans cette cave voudraient de ne pas être simplement « en réaction » à la situation dans laquelle on les a mises, à une idéologie qui leur est imposée : elles s’efforcent d’inventer une conclusion nouvelle au grand raisonnement qui évalue, juge et parfois déplore les rapports humains.

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