Deux êtres extra-ordinaires

Duras nous dit ce qu'il faut savoir de ses personnages.

Pour Lui, elle écrit : "Michel Nollet pourrait être comédien si ça lui chante, immense, bouleversant".
Puis elle choisit Sami Frey pour créer le rôle …

Pour Elle, Duras, en femme, fait des choix plus subtils. Elle écrit : s'inscrivant sur une "élégance naturelle et superbe", tout se voit à partir de "petits éclats irradiants… à travers des riens presque insaisissables…"

C'est donc très clair : ces personnages nous attachent à leur histoire, aux forces qui les traversent, à partir de leur présence, de leur charisme.

Dès l'ouverture, ces personnages nous entraînent dans leur monde, nous subjuguent par leur charme. Nous sommes invités à les écouter, les comprendre, comme on le ferait avec des proches qui se révèleraient devant nous, comme ça, au milieu de la nuit…

Deux états émotionnels

Alors bien sûr, ce sont deux personnages blessés, violemment…
Mais Duras évite de jouer droitement de cette affliction. Elle laisse la souffrance liée à leur drame en toile de fond. Ainsi, cette douleur devient un monstre, comme une gigantesque ombre portée, démesurée, menaçante, qui peut les emporter, les submerger, à tout moment.

Toute la force de ce théâtre est là, dans cette perspective :devant, un texte épuré, des acteurs sobres, des petits riens, pudiques… Derrière, la partie immergée de l'iceberg, la véritable, beaucoup plus imposante, que les comédiens portent et projettent, comme dans la caverne des hommes, comme dans une lanterne magique.

La pièce évite ainsi tout pathos, et les personnages y trouvent leur grâce, une formidable élégance d'être : malgré tout le poids qu'ils portent, et tout ce qu'ils retiennent, ils se comportent avec une précaution infinie, évitent continuellement de se heurter… La pièce est un joyau ciselé de cette délicatesse, qui lui confère son étoffe, sa splendeur, son aura. Avec pour écrin, l'intimité magnifique des amants.