(…)Convention d’adresse en public, cadrée, connue de tous et qui au demeurant n’a point besoin de théâtre pour s’exercer, le registre de la conférence chez Lydie Salvayre devient quelque chose de monstrueux… où la prise de parole implose : d’une scène sans fiction on passe à une fiction de la scène, celle pourtant réputée neutre du conférencier. Dès lors le théâtre du moi et le théâtre du monde y font irruption sans coup férir. À cet instant, un homme parle alors aux autres hommes rassemblés, dans le souci de ne convaincre ni d’enseigner personne, mais simplement parce qu’il ne peut faire autrement, traversé par le besoin irrépressible de témoigner auprès d’autrui de son indignation comme de son amour pour ce monde qui nous étreint.
Pourtant quand celui-ci dit « je » c’est toujours « nous » qu’on entend, et il semble bien que l’on soit en présence d’une certaine forme de théâtre épique, ouverte, où l’humour et l’intelligence se soutiennent mutuellement dans le développement d’un geste à la fois ludique et critique. D’où l’effet d’étonnement par cet éloignement premier que suppose le protocole de l’adresse conférencière, qui progressivement va se retourner, à vue, en direct, comme un gant. Dans Cintegabelle la rigidité des principes chevauche l’analphabétisme débordant de Lulu, et ce qui « fait sérieux » jusqu’au bout n’en devient que plus pathétique et dérisoire par cette « tenue » même. On tient une conférence, le discours se tient comme le raisonnement, et chacun tient sa place. Ici point de chaos final et de scène dévastée par le bruit et la fureur – c’est « mine de rien » que le fracas du monde opère, tout autour du lieu de la parole et dans les têtes. Tout se passe comme si ce théâtre-là, qui ne montre rien, avec des moyens quasi nuls, retournait aux origines, celles du verbe où la parole est action – qu’elle tue ou bien qu’elle caresse.

Jean-Yves Lazennec
In la revue « Substances », Université de Montréal, février 2004