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L'Utopie à crédit

+ d'infos sur le texte de Daniel Lemahieu
mise en scène Nicolas Derieux

: Note du metteur en scène

Venu à Paris il y a cinq ans demander à Daniel Lemahieu de réaliser un montage de discours politiques, j’en suis reparti avec L’Utopie à crédit dont le texte renvoie à l’actualité de manière forte bien que composé en 1998-1999 : le crédit (et sa faillite), les mondes virtuels, les paradis artificiels…


La rencontre d’un écrivain implique un rapport étroit entre le metteur en scène et l’auteur, vivant, disponible, prêt à réécrire. Il porte aussi le projet à bout de bras et s’investit dans cette création lourde, ambitieuse, festive. Pour réaliser ce gros œuvre, nous sommes libres tant du point de vue de l’écriture que de sa réalisation scénique, même s’il ne faut pas nier les risques financiers. Mais les difficultés engendrées par une telle opération encouragent le travail collectif sur le texte, la mise en scène, la musique, sorte de fabrique en commun, en équipe, loin des habitudes des metteurs en scène simplement appelés par des entreprises culturelles pour assurer des productions.


Cette comédie musicale est à l’image de notre Compagnie de Théâtres, La Soufflerie : machine qui envoie de l’air dans les tuyaux des orgues pour en produire des sons. Avec ce matériau, l’homme compose de la musique qui, parfois, bouleverse.
J’ai toujours eu recours à la musique, à la bande son dans mon parcours théâtral. La musique, interprétée en direct par l’Harmonie Saint-Pierre, est ici en osmose avec le livret. Dans cette dramaturgie, la forme de la comédie musicale, le passage du parlé au chanté, l’exploration des espaces visuels peuplés de corps dansés m’intéressent et m’interrogent. Et le direct. Le spectacle en direct.


Qu’est-ce que ça me raconte, cette utopie à crédit ?


Ça me raconte comment des gens dans un système, défini par rapport à la consommation, à l’argent, à l’achat, à la vente du corps, de soi…, peuvent s’en écarter à titre individuel ou collectif. Ça me raconte les dérives du commerce : on se drogue de crédits jusqu’à la banqueroute.
Ça me raconte le monde réel, ce qu’on vit sans stratégie, sans mensonge : l’amitié, l’amour, un certain type de travail, et le monde virtuel : tout ce qui a trait à l’argent, au pouvoir —soit, des emmerdements qui coûtent cher, soit des phantasmes, des façons de vivre par l’argent — et le théâtre, la rencontre avec quelqu’un de particulier qui regarde quelque chose qui n’a rien à voir avec les deux premiers, ni le réel ni le virtuel. Un entre deux. Une vibration. Une émotion du plateau à la rencontre de l’intimité du spectateur. Le théâtre ouvre ainsi une frontière entre le visible de la scène et l’invisible des sensations.
Ce texte me parle également des dérives insupportables du monde de l’argent. L’argent est complètement virtuel, l’argent n’est pas quelque chose de concret. Même si, hier, je suis allé payer le montant de la location de mon logement : la quittance du mois d’août, c’est concret ! Je suis très déconnecté par rapport à l’argent, mais dans le cadre du théâtre, au service de ma Compagnie, je ne pense qu’à cette « chose » pour tenir et créer, inventer du plaisir, des désirs, de la complicité avec les personnes anonymes et les publics rencontrés.


Dans la vie, tout se raisonne en argent. Maladie invivable, impossible. Cette situation révèle un problème : pour se reposer il faut de l’argent, et pour avoir de l’argent, il faut coûte que coûte travailler. Et la politique ? Encore de l’argent ! Ne dit-on pas que le pouvoir d’achat est planté au cœur de la politique, même si « les caisses sont vides » ? Complexe tout cela ? L’Utopie à crédit nous invite à en rire. Rire franc entraînant à nous moquer de nous-même, de nos excès, de nos folies, de nos faiblesses, de nos amours, d’autant que dans cette comédie musicale naît UNE HISTOIRE D’A. D’emblée je me suis attaché à cette histoire. Sans doute, mon côté « fleur bleue », mais je suis très sensible à ces deux amoureux, Faustine et Rico. Ils essaient de sortir de la problématique des crédits, du fric et des illusions de la société du spectacle, de la marchandise et de la consommation à outrance, à n’importe quel prix. Ces jeunes gens s’en sortent, oui, sauf qu’à la fin ils meurent comme Roméo et Juliette ou Bonnie and Clyde. L’histoire d’amour, invariant de la comédie musicale, illustre ce paradoxe énoncé par Jacques Lacan : aimer c’est donner quelque chose qu’on n’a pas… à quelqu’un qui n’en veut pas. Mettre en scène convoque des convictions intimes, des doutes, des étonnements. On ne met pas en scène pour donner des leçons, faire passer des propos ou exposer directement un discours. De toute façon, on nevoit le geste qu’en le faisant. La vraie arrogance artistique au théâtre ? Tenter des choses sans être assuré de ce qu’on dit, de ce qu’on fait. Chercher. Explorer. « Rêver, peut-être… » Toujours rêver pour essayer de s’en sortir.


Propos recueillis par Gaby Deltour

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