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Je reviens de loin

+ d'infos sur le texte de Claudine Galea
mise en scène Sandrine Nicolas

: Entretien avec Claudine Galea

Entretien réalisé par Laurent Muhleisen

Laurent Muhleisen. Chacune de vos pièces semble explorer un fil particulier de ce qui unit ou oppose le monde extérieur, la « réalité », aux territoires de l'intime : qu'est-ce qui a déclenché votre envie d'aborder les thèmes que vous traitez dans cette pièce ?


Claudine Galea. Je ne travaille pas sur un thème ou un sujet, mais sur des choses qui me hantent, image, phrase, histoire rapportée ou lue. Pour Je reviens de loin c'était une image de rêve, la main d'une femme sur une poignée de porte. J'ignorais si elle rentrait chez elle ou s'en allait. Pourquoi cette image n'a cessé de me poursuivre, je l'ignore toujours.
J'ai commencé à écrire. J'ai décidé qu'elle partait, enfin « décidé » n'est pas tout à fait juste. Une étape cruciale du travail est de laisser venir ce qui doit venir, du fond de l'inconscient, ce qui me déplace, qui me questionne, me dérange. La volonté est pour moi l'ennemie de l'écriture. Parce que la nécessité d'écrire ne peut pas se vouloir.
J'ai commencé à raconter l'histoire d'une femme qui s'en va, qui laisse sa famille, ses enfants. C'était intrigant mais je sentais que c'était ça qui arrivait. La suite, je l'ai découverte aux deux tiers de la pièce, je ne vais pas la révéler ici, ça m'a arrêtée, même sidérée, mais c'était l'histoire que je devais raconter. Rien de personnel, et pourtant, c'est un texte qui m'est et me demeure très intime, essentiel.


L.M. La musique occupe une place importante dans votre œuvre ; il y a les mots, le rythme des phrases, la tonalité des scènes, ici, des mouvements et des impromptus, mais aussi les chansons, Schubert et Bach. Comment le langage des mots et celui des notes se complètent-ils, se répondent-ils dans Je reviens de loin ? Quelle place occupe le non-dit dans ce texte ?


C.G. J'écoute Bach chaque jour.
Je suis imprégnée de sa musique, son inventivité, sa vitalité, sa rigueur. L'émotion qu'elle suscite chez moi ne fait que grandir. La précision de la musique me passionne et m’accompagne. Je traque cette précision du mot, de la phrase, et de la composition.
Plus ça va, plus l'écriture est une partition à mes yeux. Quand j'ai écrit ce texte en 2002, je ne savais pas comment faire parler Paul, le petit garçon, comment il pouvait exprimer le manque de sa mère, Camille. Pour Lucie, sa sœur aînée, j'avais trouvé le piano qu’elle se met à pratiquer intensément.
J'aurais aimé jouer du piano, devenir musicienne. Martha Argerich est une pianiste et une femme que j'admire depuis longtemps. Pour Paul j'ai cherché longtemps. Un jour j'ai compris qu'il inventait des comptines que sa mère aurait pu lui chanter, et Paul a pris corps, et, en grandissant, ses comptines sont devenues des chansons.
Depuis Je reviens de loin, j'aime écrire des chansons dans mes textes pour la scène. Je rêve d'écrire une comédie musicale !
Cette histoire aurait pu devenir un roman, on me l'a dit et c'est sans doute vrai, mais je désirais la scène du théâtre, le lieu où le trouble est à son maximum : les actrices et les acteurs jouent la présence comme l'absence, le vrai comme le faux. Plus qu'une affaire de non-dit, c'est une histoire de trouble dans l'espace et le temps, en un lieu et un temps unique, celui de la représentation.


L.M. La Comédie-Française présente une autre de vos pièces cette saison : Laëtitia Guédon mettra en scène en avril 2024 au Théâtre du Vieux-Colombier une pièce inédite, Trois fois Ulysse où l’on retrouve Ulysse à trois étapes de sa vie, chaque fois avec une femme d’âge différent. Comment la fiction s'articule-telle avec la question du masculin et du féminin dans votre écriture ?


C.G. J'ai toujours beaucoup écrit pour les actrices. Des figures de femmes puissantes, transgressives parfois. La puissance n’exclut pas la vulnérabilité. Sinon, elle se confond avec le pouvoir. Ce n'était pas un calcul, mais une évidence.
Peut-être parce qu'il m'a fallu persévérer dans ma propre voie, la littérature. Dans le même temps, j'ai toujours vu les personnes dans leur singularité et l'égalité des genres. J'ai toujours été, et pensé, outre-genre. Je n'aime pas plus les catégories, les hiérarchies que les identités. Il y a une histoire du féminin et du masculin, une construction politique, économique et sociale, qu'enfin on n'ignore plus. Dans l'art, il y a aussi autre chose qui n'est pas totalement assimilable ni réductible à des raisons et des explications socio-historiques, ou des questions de médiatisation et de marché. J'ai vu récemment l'exposition de Germaine Richier. Impressionnante.
Comme Anna-Eva Bergman. Comme Joan Mitchell. Et bien d'autres. Rien ne les a empêchées de construire leur œuvre. Anna-Eva Bergman a quitté Hans Hartung pour trouver son vocabulaire de peintre. Elle a eu cette force-là.
Parce que sa création était vitale.
Que les artistes femmes ou les personnes non genrées n'aient plus à se battre contre de mauvaises raisons pour exister aux yeux du public, qu'ils et elles soient enfin visibles, c'est tout simplement juste. L'œuvre à accomplir reste un corps-à-corps de tous les instants, entre soi et soi.


  • Entretien réalisé par Laurent Muhleisen, conseiller littéraire de la Comédie-Française
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