: Note d’intention
Par Sandrine Nicolas
Une mélodie familière
J’aime révéler sur scène nos parts invisibles, nos inconscients. Quand j’ai lu Je reviens de loin, j’ai entendu comme un écho familier à mes récurrences. À travers ma propre écriture, je creuse le sillon du récit introspectif. Je cherche l’expression des paysages intérieurs, je porte l’idée qu’à travers nos imaginaires nous avons la possibilité de nous déplacer face à une réalité brutale.
Une partition introspective écrite comme une sonate
À la lecture, j’ai été happée par le récit intime de Camille, j’ai rencontré « ses fantômes ». Le texte est construit comme une sonate, avec ses mouvements et ses répétitions, sonate dans le sens de « qui sonne ». Faire « sonner » et « résonner » les mots et les présences dans le paysage intérieur de Camille : la gravité du sujet sera accompagnée par un univers sonore et visuel onirique.
Entre miroir et transparence
Avec Aurélie Thomas, scénographe, nous avons imaginé l’évocation d’une maison en bord de mer. Un lieu dans lequel le vent aurait soufflé du sable sur le sol. Le bruit des vagues au loin. Nous nous sommes inspirées des œuvres de Bill Viola comme The Veiling (une superposition de surfaces de projection transparentes où l’image démultipliée prend une autre densité), de l’univers poétique et spectrale des photographies de Francesca Woodman ou d’Ici, un roman graphique de Richard McGuire (où l’on assiste à l’évolution de l’intérieur d’une maison à travers le temps : dans ce décor, sont ouvertes des fenêtres d’une époque passée, les espaces-temps se côtoient). À partir de ces univers, qui ont en commun de signifier la part invisible du monde, nous avons défini l’espace mental d’où Camille déploie sa fantasmagorie. C’est dans un décor poético-mental qu’elle s’enfonce peu à peu.
Des ponts entre le réel et l’irréel
J’imagine la mélodie mélancolique de Camille, cette femme qui, pour
surmonter l’absence des siens, navigue dans un monde à l’interstice du
passé et de l’imaginaire, comme un bercement. Camille nous décrit sa
maison, nous raconte comment elle est partie, comment elle a quitté les
siens. Et très vite, cet espace – l’évocation de sa maison du passé – s’éclaire
et se peuple des présences de Marc, son compagnon, Lucie et Paul, leurs
enfants. Camille fantasme l’impact de son absence. Comment ont-ils
fait sans elle ? Elle imagine. Et parfois, ils s’adressent à elle. Parfois
même, leurs discours lui échappent. Comme le dit Rainer Maria Rilke
à Marina Tsvétaïeva dans leur correspondance : « Nous nous touchons,
comment ? Par des coups d’aile, par les distances mêmes nous nous
effleurons. » Camille effleure ses fantômes et se laisse effleurer par eux.
Tout est poreux.
Par le jeu des lumières sur les voilages et les parois
« miroir », les présences sont incarnées ou diffractées, parfois invisibles
mais sonores, ou visibles mais silencieuses. On jouera à créer du décalage
et du mystère. Cela ne doit pas être triste ou tragique, malgré le sujet,
mais au contraire, sensible, vibrant et, pourquoi pas, tendre. Partant
du postulat que Marc, Lucie et Paul émanent d’une rêverie de Camille,
chaque acteur ou actrice travaillera sur une présence ténue, à dimension
variable, parfois reflet, parfois présence réaliste. Des dichotomies entre
le corps et la voix créerons de l’onirisme, avec par exemple les voix pré-
enregistrées diffusées dans l’espace tandis que les corps créeront une
image ou un mouvement – à distance.
Le travail corporel engagé avec
la chorégraphe Ingrid Estarque servira des moments chorégraphiés
entre Camille et ses « fantômes », mais aussi une recherche sur les « états
de corps » des personnages. Proposer des rythmes décalés, des ralentis,
des chutes, des arrêts sur image. Les fantômes n’évoluent pas dans la
même « toile cosmique » que Camille. Tous ces procédés dramaturgiques
vont permettre de créer les ponts et passerelles entre les dimensions du
réel et celles de l’imaginaire, afin de créer un trouble dans la perception
du public.
J’aimerais que par moments on puisse s’imaginer qu’ils sont
enfin réunis dans le même espace-temps. Je pense aux corps de Rodin (Ève, Adam, Femme accroupie…), à La Valse de Camille Claudel, aux présences fantomatiques dans les photos de Francesca Woodman.
Le son de la contrebasse, un fil d’Ariane
La musique est très présente dans les textes de Claudine Galea. Dans
Je reviens de loin, il est dit que Camille était pianiste, sa fille Lucie l’est
également. Toutes deux évoquent notamment la Sonate pour arpeggione
et piano de Schubert.
Dans ma projection du récit de Camille, j’ai entendu
le son de la contrebasse et j'ai demandé à Théo Girard de créer plusieurs
solos qui accompagneront les mouvements du récit.
J’ai choisi le son
de cet instrument rond et chaud comme des bras rassurants dans lesquels
Camille se love, pour oser aller auprès de ses « fantômes ». Un fil d’Ariane
qui la soutient et la guide.
En pensant à Charlie Haden, notamment
l’album Steal Away en duo avec Hank Jones ou à l’album solo Am I bothering you ? de Michael Formanek, nous naviguerons entre phases mélodiques et abstraction. Après avoir lu la pièce, une chanson m’a hantée, Septembre de Barbara. Elle sera présente, peut-être comme point de départ ou d’arrivée, de la traversée de Camille. L’autre part du travail musical se fera à partir des voix. Des séquences seront enregistrées et suivant ce que proposent certaines didascalies, nous jouerons sur des entremêlements, des superpositions en direct. La spatialisation du son développera une scénographie invisible, une nappe sonore.
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