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François Mailliot

+ d'infos sur le texte de René Bizac
mise en scène Emmanuelle Mathieu

: Le mot de la metteuse en scène

Une question, essentielle, traverse « François Mailliot », et cette question nous concerne tous : Qui suis-je ? … Quelle est mon identité ?... Qu’est-ce qui me fonde ?
Et …quels actes vais-je être amené à poser pour signaler mon existence ?
En tant qu’étranger, maghrébin, que faut-il faire à l’heure actuelle pour être reconnu et accepté dans des pays tels que la France ou la Belgique ?
Pour l’Homme, alias François Mailliot / Ali ben Hami, la réponse est: posséder une identité conforme (ici, française) ! Véritable sésame, c’est elle qui ouvre le chemin de l’emploi, et du même coup … la possibilité de se fondre dans la norme, de se donner consistance, d’avoir une femme, des enfants. Mais au prix de quelles illusions ? ?


Car c’est bien de cela dont il est question dans ce spectacle: d’illusion. Le personnage de « François Mailliot » a construit, de toutes pièces, l’apparence de son identité. Et nous, public, nous sommes au coeur même de cette illusion. Nous ne savons pas.
Pendant la majeure partie de la pièce, nous ne savons pas. Nous sommes « avec lui ».
Nous faisons tout pour le comprendre. Nous pensons qu’il est victime d’une injustice.
Pensez-vous : un citoyen aux prises avec l’administration, une sorte de « machine » qui s’acharne sur lui, et qui lui dit, de la manière la plus absurde possible : « Non, Monsieur, nos registres sont formels, et ils ne se trompent jamais, vous ne vous appelez pas « François Mailliot » ! ». Tout le monde a été, un jour ou l’autre, pris dans les rouages de cette grande machine anonyme. Alors, évidemment, nous voulons le croire, quand il parle d’acharnement administratif et d’injustice ! Nous nous « faisons des illusions » sur lui. C’est d’autant plus « normal » que c’est lui qui « dirige » l’action. Il est le maître de l’illusion. Tout ce que nous voyons sur le plateau, dans la mise en scène, est le fait de sa subjectivité : la représentation du temps, de l’espace, des objets, les différents personnages… Nous sommes dans son imaginaire. Nous sommes dans son Conte.
Il ne s’agit pas d’être dans la réalité, dans l’analyse psychologique, dans l’explication documentaire, dans le « ça c’est passé exactement comme ça », mais d’être dans sa tête, aux prises avec ses désirs, ses peurs. Nous sommes dans le « j’ai ressenti ça comme ça ». Le propos n’est pas de donner des leçons, mais de tenter de comprendre comment, pourquoi, il en est arrivé là.


Quand je parle de conte, et d’illusion, je fais appel immédiatement à des notions tel les que la magie, le charme, la séduction, le merveilleux, l’extraordinaire, les apparitions, disparitions, l’irrationnel, l’animalité, les masques, la déformation etc… Tout un monde visuel et sonore qui s’affranchit du « réalisme », tout en étant très concret. Tout un monde qui s’invente, au départ de peu de choses, laissant toute la place à l’imaginaire. Comme des enfants qui jouent dans un grenier, ou des ombres gigantesques au départ d’une bougie et de trois doigts…. Les comédiens deviennent aussi ces sortes de magiciens, endossant plusieurs rôles, usant de leurs corps et de leurs voix comme d’instruments d’évocation.


Dans le déroulement de son conte, le personnage entame, malgré lui, une sorte de voyage « extérieur », entre la France et le Maroc. Le public est lui aussi convié à ce voyage, il en ressent les nuances, les senteurs, les sons, toutes les matières. Il « voit » le village, les arganiers, la robe des moissons, la terre rouge, les enfants qui courent, il « entend » la prière du père, l’eau des ablutions, la chanson de la mère, le tapotement de ses doigts dans la farine… Mais c’est aussi, et surtout, à un voyage « intérieur » que le public est invité, un périple qui l’incite à enlever, peu à peu, les « peaux de l’oignon », et à chercher ce qui est illusion et ce qui ne l’est pas, derrière ce qui est présenté. Qu’allons- nous découvrir ? Et ce que nous allons découvrir, le personnage le sait-il ? Quelle est sa part de conscience ?


Ce voyage n’est pas une simple déambulation, car c’est aussi d’un combat dont il s’agit. Le combat d’un homme pour son « existence », le combat d’un homme avec la société, et ses règles. Mais également le combat d’un homme avec lui-même, ses origines, sa part d’enfance, un combat entre ce qu’il était et ce qu’il est devenu. Mais à travers ce combat, cette résistance, apparaissent des moments où le personnage se dévoile, lâche prise, où ce qu’il a d’essentiel traverse, à son insu, l’identité qu’il s’était construite. Je souhaite révéler ces instants d’authenticité, en leur conférant dans la gestuelle, l’éclairage, l’ambiance sonore, simplicité et pureté.


Ce voyage n’est pas une simple déambulation, car il se déroule dans une tension, un suspens continus. L’écriture est haletante, comme s’il y avait une urgence à raconter la vie d’un homme qui se bat pour exister. Elle nous prend de plein fouet et ne nous lâche plus ! Il faut attendre le dernier mot pour savoir. Non l’identité « réelle » du personnage, mais celle (ou celles) qu’il revendiquera pour toujours.


Mais ce suspens, ce combat, ne m’empêchent pas, et c’est très important, de mettre en jeu tout l’humour et toute la fantaisie du texte. Car l’humour et la fantaisie rythment les séquences, ils sont la véritable « respiration » du texte, ils permettent « d’entendre » le combat que mène le personnage, tout en gardant une distance par rapport à celuici. Quand une chèvre parle à un homme et lui reproche de ne pas vider son assiette, il ne peut être question de « pièce-exposé », de « pièce-documentaire », voire de pièce didactique, ou moralisatrice ! L’humour et la fantaisie installent un décalage, et participent à faire de cette pièce une sorte de conte… inspiré d’un fait réel.


Fantaisie, humour, poésie des images et des sons, magie des interprètes, tout nous invite à nous interroger, sans donner de leçons ni de réponses toutes faites, à ressentir, sans « se prendre la tête ». A rendre palpable la difficulté mais aussi la nécessité, pour chacun, de trouver et de pouvoir vivre son identité.

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