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Ciel bleu ciel / Face au mur / Tout va mieux

mise en scène Lélio Plotton

: Notes d’intention

Dans ces pièces Martin Crimp analyse, avec cynisme et humour, la violence des sociétés occidentales au consumérisme débridé.
Dans Tout va mieux les personnages répètent jusqu’à l’obsession que « les choses s’améliorent de jour en jour », ne tentent-ils pas de s’en convaincre eux-mêmes ? C’est sûr ils ont gagné en confort, en progrès scientifiques, en pouvoir d’achat, mais quelle humanité ont-ils perdue en échange ?
Leur vie consentie transforme leur vision du monde. Ils voient leur existence comme une ligne droite. Et comme le géographe grec Anaximandre qui imaginait le monde plat comme un tambour, eux le considèrent comme une assiette. Alors, clos dans leur pavillon, dans leur famille, ils se sentent rassurés, en sécurité. Pourtant ils sont en danger, chaque situation de crise qu’analyse Martin Crimp les retranche en eux même, vides.
D’ailleurs l’identité des locuteurs se réduit à des chiffres, ce ne sont plus que des voix, les échos d’une intégrité à eux-même perdue qui seraient la preuve de notre aliénation.
Ces entités « désintégrées » tournent en rond, comme souris en cage, et face à l’impuissance du dialogue à leur permettre de prendre conscience de leur existence, à nommer les événements qu’ils subissent, ils chantent le « petit air ». Ce « petit air » dont il est question dans chacune des pièces est le signe de leur résignation, de notre acceptation du monde.
L’analyse précédente nous a conduit à prendre un parti pris fort concernant l’espace. Les trois comédiens évoluent dans un espace scénique de 4m2. Pour bâtir cet espace qui impose aux comédiens une grande précision physique nous avons travaillé avec une chorégraphe. Nous avons avec son aide fouillé cet espace, créé de micros-déplacements et interrogé la notion de narration à travers le corps. Dans ces pièces les actions dramatiques ne passent que par la narration, le corps des comédiens n’est pas le support d’un personnage mais plutôt la matière organique qui réagit aux mots et en retour les rend visibles, plastiques. Pour nourrir cette recherche nous nous sommes intéressés au travail de Samuel Beckett et particulièrement à la pièce télévisuelle Quad I+II. La pièce se résume au presque rien de quatre danseurs aux silhouettes analogues de couleurs différentes, qui bougent au rythme de percussions dans un carré en tentant de s’éviter. Ils établissent ainsi une sémantique de l’espace où leur rencontre est la seule possibilité d’événement. De cette oeuvre de Beckett, Gilles Deleuze dira qu’ « elle met en jeu des personnages innafectés dans un espace inaffectable ».
De ces recherches est née une hypothèse dramaturgique. Les locuteurs ne sont que les voix schizophréniques d’une seule et même personne qui chercherait, dans un élan de survie désespéré, à se raconter pour se reconstruire et ainsi échapper à la désintégration totale de son identité. Alors ces voix intérieures créent dans une sorte d’urgence le récit de situations extrêmes. Ces récits sont construits par juxtapositions d’hypothèses que proposent les locuteurs pour creuser l’intrigue, enquêter sur cet esprit en pleine tempête. Les mots se heurtent, se coupent.
Nous avons rendu cela visible par le travail des déplacements, des postures physiques souvent en tensions, le rythme qui révèle l’urgence. Nous avons identifié ces voix à des couleurs de costumes différentes, comme des dès jetés sur un tapis (le sol de notre décor est une moquette verte), qui à chaque lancé proposeraient une combinaison différente et pourrait inventer dans l’instant toutes les situations de crise qui nous hantent.
C’est pour tendre ce miroir que les comédiens s’adressent presque toujours aux spectateurs, lui racontent, plus qu’ils ne jouent, avec une grande proximité le récit issu de chacun d’eux. Nous voulions, par cette adresse insistante, parfois anxiogène, que les spectateurs aient le sentiment que les locuteurs puisent dans leur présence la suite du récit.

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