Un jour, j'ai offert à Yael Dyens un livre fin, écrit comme un poème, nommé Ellis Island. Je voulais qu'elle le lise avant de prendre connaissance du documentaire réalisé par Perec et Robert Bober, pour lequel le texte avait initialement été écrit. Qu'elle en goûte d'abord la force littéraire, sans les images. Les différentes maisons d'édition qui ont publié le texte, d’abord avec quelques photos, puis seul, l’ont bien compris... Yael est revenue vers moi, enthousiasmée, bouleversée par cette lecture.

Parti d’un lieu réel, apparemment objectif, le texte se tourne vers un lieu intérieur, biographique, et prend une force extraordinaire. Perec, en s'imaginant le destin de tous ces immigrés, se retrouve sur celles de son propre exil.

À cinq ans, on demande au petit Perec, envoyé par sa mère en zone libre, de tout oublier de son passé : ses souvenirs, ses parents, ses racines. On ne veut pas que l’enfant trahisse ses origines juives, au risque d’être emporté par les allemands. Il revient à Paris, mais lorsque la France est libérée, ses deux parents sont morts. S’ensuit un rapport d’étrangeté à son propre passé, à sa culture, à sa famille. Sa mère, morte dans les camps, n’a pas de tombe. Son passé n’a même pas le lieu d’une tombe.
Cette confrontation de l’écrivain à Ellis Island, un lieu réel, lieu qui aurait pu faire partie de son histoire, mais lieu de l’exil, fait donc écho avec force à son rapport à la judéité. Mais aussi au statut de tout immigré, arraché de gré ou de force à ses racines.
Je voulais à mon tour mettre en voix cet texte. Mais une voix détachée des images, une voix présente, pas la voix enregistrée du cinéma ou du documentaire, la voix vive de la comédienne. Afin de le faire entendre, aujourd'hui, où les questions d’exil, d’immigration, d’immigrés sont tragiquement actuelles. Afin de faire entendre ce que Perec, enfant de « l’Histoire avec sa grande hache », avec sa bienveillance, sa justesse, sa puissance de pensée pouvait bien en dire.

Margot Simonney