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D.T.C. ( on est bien )


: Le projet

D'abord, c'est quatre individus étranges qui jouent la Genèse de lʼhumanité. Ils sont étranges parce qu'ils ont scotché divers appareils sur leurs corps. Des petites enceintes acoustiques, surtout mais aussi des prises de courant, des petites radios, des samplers, etc. C'est de ces enceintes que sortent les dialogues, débités par des voix virtuelles informatiques sorties d'un logiciel text-to-speech. Les quatre individus bougent les lèvres de façon parfaitement synchronisée, on peut croire que c'est eux qui parlent, pourtant ils ne disent rien, et le texte sort inéluctablement. Ils portent également sur eux quelques éléments hétéroclites. Leurs costumes, sorte dʼhybridation organique de sous-vêtements, ressemblent plutôt à des déguisements.


Cette Genèse a le même point de départ que de la Genèse biblique, mais rien ne sʼemboîte correctement. Blaise Ludik créée deux êtres, dont lʼun est un morceau de plastique asexué, lʼautre un hermaphrodite avec une verge sur le front et un vagin à la place de la bouche. Il créée alors Mélanie Zucconi, pour remplacer la créature en plastique. Mais elle ne peut tenir debout. Blaise Ludik se persuade que ça peut marcher entre Mélanie Zucconi et lʼhermaphrodite. Mais, dans un accès de rage contre celui-ci, il tente de le noyer. Lʼhermaphrodite se transforme alors en Ludovic Barth, qui semble être une réussite, faisant dʼautant plus ressortir la faiblesse de Mélanie Zucconi. Blaise Ludik décide donc de supprimer Mélanie Zucconi, et de faire encore une nouvelle tentative. Mais Ludovic Barth est complètement en amour pour Mélanie Zucconi, et sa disparition le met au comble du désespoir, alors quʼest créée Mathylde Demarez, la merveille des merveilles, etc., etc.


À ce stade, on ne comprend pas très bien ces quatre individus nous veulent. On hésite peut-être entre un jeu d'enfants trop sérieux ou un sitcom administratif. Toujours est-il qu'un premier décalage inquiétant et sans doute comique s'est installé entre la neutralité froide des voix virtuelles, et le pathos latent des situations déchirantes du mélodrame. Car petit à petit cʼest bien un mélodrame qui se déroule. Ces créatures originelles inachevées, porteuses de failles, inventées comme pour légitimer uniquement lʼexistence de quatre personnes débordantes d'un romantisme primaire (elles en portent les noms et prénoms), vivent des déchirements à nʼen plus finir.


Effectivement, les quatre individus sur le plateau, parés dʼune technologie qui leur évite de parler par eux-mêmes, leur ouvrant le champ des possibles, customisant leurs corps pour amplifier leurs performances ; pataugent pourtant dans les émotions binaires. Parfois, sur une situation qui se doit d'être émouvante, ils déclenchent un des appareils qu'ils ont sur eux (lecteur CD ou autre) qui bave alors une musique calibrée pour faire pleurer. Ils jouissent visiblement de ce sentimentalisme poussif. Leur faiblesse est touchante, mais aussi vaguement inquiétante.


Au-delà de ce besoin régressif dʼémotions simples, cʼest une définition dʼeux-mêmes quʼils mettent en jeu, et par extension, de lʼhumanité toute entière. Mais comment peuvent-ils se définir à travers cette histoire terriblement anecdotique ? En réalité, depuis le début, en marge de lʼhistoire ellemême, ils construisent petit à petit, à partir dʼéléments épars autour du plateau, une sorte dʼinstallation, dont lʼusage révélera le but réel (mais caché au spectateur depuis le début) du spectacle : cette installation est une machine à exterminer les mouches.


Au bout du compte, cʼest cette faille tragique que nous cherchons à représenter : notre capacité humaine à déployer des efforts considérables et des trésors dʼinventivité pour mettre au point une machine à exterminer les mouches, être infimes et inoffensifs par excellence dans lʼimaginaire collectif occidental. Et notre fascination pour cette technologie (construction inutile du point de vue de lʼévolution de lʼespèce), prend des allures à la beauté terriblement pathétique.

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