L’élément politique, très important dans la construction de l’intrigue, a été déplacé, actualisé. Dostoïevski dénonce ce qu’il appelle un mouvement nihiliste (en réalité il s’agissait de balbutiements du naissant parti révolutionnaire socialiste, bolchevique, balbutiements en effet violents et marqués de tous les accidents qu’incombent au bouillonnement d’une nouvelle idée sociétale). Dans le travail d’adaptation, il m’a été difficile d’adhérer à une pareille critique et d’en sentir l’actualité. Je sens que l’indolence du monde consumériste d’aujourd’hui est secouée par des mouvements extrémistes, en particulier extrémistes religieux.

Plus profondément, le roman s’attarde sur le vide spirituel et sur le chaos des valeurs ; en ceci l’adaptation lui est absolument fidèle ; en ceci, le roman de Dostoïevski est absolument actuel. Le vide, ou plutôt, la frustration spirituelle et le chaos des valeurs produisent une sorte d’hypersensibilité de l’être humain à tout ce qui a l’air spirituel : et produisent ainsi sa vulnérabilité vis-à-vis de la manipulation, de l’idéologie, du fanatisme, de l’endoctrinement.
La pièce, sur fond d’une tentaculaire histoire d’amour, étudie ces mécanismes de manipulation et d’endoctrinement.

Un angle d’approche est l’étude de l’endoctrinement et de ses mécanismes.

En quoi, pour commencer, le désir d’avoir des vêtements de marque peut être le fruit d’une suggestion maintes fois répétée et soutenue par des images alléchantes et qui est devenue une conviction personnelle et intime du consommateur ?

Et, beaucoup plus problématique, l’endoctrinement comme extension, ou renforcement à l’extrême, d’une démarche personnelle. Ceci concerne le domaine sensible de la foi, en elle-même magnifique et enviable. Comment un phénomène aussi profond que délicat, fondé sur le sentiment d’amour et d’harmonie, comme la foi en Dieu, peut être exacerbé, fanatisé, jusqu’à devenir haineux et meurtrier !? (Je veux souligner que, dans mon adaptation des Possédés, j’invente un mouvement politico-religieux qui n’existe pas. J’ai pris ce soin pour ne viser aucune religion en particulier, puisque ce n’est pas une religion que je voulais viser.)

Qu’est-ce que la foi ? En quoi peut-on croire ? En Dieu, au progrès, à la réincarnation, au pouvoir des anges ou des démons, au pouvoir des objets magiques ou des paroles magiques ? L’athéisme est-il une forme de foi ?

Maria Zachenska