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Cendres


: De l’obscur clarté du souvenir

Commentaire de Mathilde Simon - Maitre de conférences à l’École normale supérieure

Prenant place dans la trilogie de L’Ordalie, dont Ricercare constitue le deuxième volet dans le temps, Cendres s’inscrit par la construction même de l’ensemble de l’œuvre dans le principe dramatique de la tragédie antique, marquée par l’urgence nécessaire de l’action et, en même temps, l’impossibilité du dénouement qui mettrait fin aux souffrances des héros. Le cycle auquel appartient la pièce explore, à la suite de l’Orestie d’Eschyle, les motifs de la mort, de la culpabilité, des limites de la volonté humaine. Cendres met plus particulièrement en scène la dimension féminine et maternelle du fardeau tragique, à travers le personnage de Blanche Urwald, qui, dévorée par le passé familial, tente en vain de libérer ses enfants d’une malédiction que seul l’oubli semble pouvoir résorber, et les soumettant finalement, par son propre renoncement à vivre, au même destin déchiré. Le nom même de cette héroïne révèle d’ailleurs les contradictions qui l’habitent et qui définissent l’ossature poétique du texte, son prénom, pur et lumineux étant démenti par son nom, qui dénote l’attachement à une noirceur originelle.


La pièce rend compte, plus largement, de l’ambiguïté fondamentale de chaque chose, de la proximité imprévisible du plus radieux des bonheurs et de la souffrance définitive du deuil. Les figures qui paraissent dans la pièce incarner la raison, l’avenir, ainsi Manoël ou Elise, ou constituer un contrepoint apaisant à l’obsession mortifère de Blanche, comme les enfants, renforcent la solitude douloureuse d’une héroïne étrangère aux sollicitations vitales du présent, confinée dans le ressassement délétère du souvenir. Ses frères, Séraphin et Siméon, témoignent, diversement, de l’accablement d’un destin qui est reçu, accepté, combattu selon l’énergie et l’expérience de chacun.


La dimension élégiaque de l’œuvre réside dans cette intrication entre la tentation morbide et l’évocation de moments d’allégresse, selon un cheminement esthétique qui rappelle certains modèles claudéliens : l’exaltation de la nature, de petites joies quotidiennes, à travers le regard frais des enfants, l’insistance sur le rôle de la lumière, par exemple, sont brutalement contestées par le gouffre du tourment et du deuil ; on peut ainsi songer à la fin de La jeune fille Violaine, où, médité à travers le thème de l’aveuglement que l’on retrouve dans Cendres, le soleil est à la fois une brûlure insupportable et une promesse de renouveau. La permanence des éléments, le caractère cyclique de la nature, qui définit la division de la pièce en tableaux, constituent le lien entre les éléments de la trilogie et enracinent cette réflexion sur le temps, le don de soi et la liberté individuelle dans une sensibilité aiguë à la réalité la plus immédiate.

Mathilde Simon

mai 2010

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