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Atteintes à sa vie

+ d'infos sur le texte de Martin Crimp traduit par Christophe Pellet
mise en scène Adrienne Winling

: Note d’intention vidéo

La vidéo, comme tous les éléments de ce projet, sera utilisée dans une dramaturgie et de contenu, et de forme : elle répond aux allusions de l’auteur à un monde éminemment contemporain, avec ce qu’il véhicule de rapports à l’image, à l’identité, à la « publicité » au sens large du terme (que ce soit littéralement ce qui est rendu public ou ce qui tient de la promotion). Mais elle relève aussi et surtout pour moi d’une dramaturgie de la forme : la vidéo n’est pas un ajout, elle n’opère pas une simple superposition mais bien plutôt un enchevêtrement des niveaux de jeu et du rapport à la théâtralité. Elle s’inscrit dans cette démarche d’instantanéité où tout est tentative : le vidéaste est présent sur scène et, si nous tournerons quelques séquences pré-montées, l’interaction entre la vidéo en direct (ou en différé) et le jeu des comédiens restera notre principal terrain de jeu.


« La caméra vous aime »


Tout d’abord, d’une manière évidente, le texte de Martin Crimp fait de multiples références à une caméra. Que ce soit par une mise en abîme de la présence des comédiens qui entonnent lors d’une séquence chantée ce refrain « la caméra vous aime » tout en réclamant la « sympathie » du public, ou lors d’un scénario journalistique où l’un des comédiens/scénaristes dit en parlant d’Anne « Je crois qu’elle s’avance vers la caméra et qu’elle se met à maudire », les allusions à la présence d’une caméra sont fréquentes.


Il ne s’agit bien sûr pas d’illustrer ces allusions, mais elles sont un premier indice du traitement possible de l’image dans cette pièce : quels sont les liens que notre époque entretient avec elle, qu’elle soit publicitaire, journalistique, ou cinématographique ?


Anne est perdue dans un monde impersonnel où elle pourrait être tout le monde et personne. Elle pourrait être un des spectateurs, un des comédiens… Crimp écrit : « Ce qui est effrayant, c’est qu’elle pourrait être n’importe lequel d’entre nous. » L’image permet cette déconstruction de l’identité. De l’identité d’Anne, et de celle aussi des comédiens.


Une mise en scène de la vidéo


Tout comme les autres éléments de ce spectacle extérieurs au jeu des comédiens (musique, lumière…) la vidéo est mise en scène, c’est-à-dire mise sur scène, mise en abîme. Le vidéaste est présent sur le plateau et joue son propre rôle : il propose par moments de filmer les comédiens en direct ou bien dispose lui-même le vidéo-projecteur mobile pour diffuser ses réalisations.


La décision est prise soit par oral (il annonce par exemple au début d’une séquence la projection d’un film publicitaire) soit de manière « improvisée », en s’avançant soudainement vers un des comédiens en jeu pour le filmer en direct. Il fait en tout cas partie intégrante des propositions scéniques autour de chaque scénario, mais sans systématisme : il pourra également délaisser son travail de vidéaste et devenir par moments comédien en prenant en charge des bouts de texte. Car dans cette élaboration perpétuelle d’un scénario à proposer aux spectateurs, tout est proposition, le texte au même titre que l’action. C’est pourquoi nous utiliserons beaucoup de supports de projection « impropres » (comme le tableau Veleda), c’est-à-dire ne servant pas uniquement à la diffusion de l’image mais aussi à d’autres propositions théâtrales.


Et quand l’élaboration même du scénario glisse vers un début de fiction, la présence de la caméra se fait élément de jeu : elle peut devenir une caméra de surveillance, servir à une interview ou à un reportage de guerre…


La vidéo se fait scénographie

La vidéo se pense ici comme une véritable scénographie, moins dans le sens esthétique que dans celui d’une spatialisation de l’action. Nous partons d’un plateau très neutre, « cru », et ne voulons en aucun cas avoir recours à un décor.
Dans un premier temps, la vidéo ne palliera pas à cette absence de décor et de fiction, elle la développera au contraire : la pièce se déroule dans un théâtre, et l’idée en premier lieu est de travailler avec la vidéo autour de cette réalité.
Je souhaite par exemple l’utiliser pour donner à voir les comédiens en direct dans d’autres lieux que sur le plateau : dans les coulisses, dans le hall du théâtre, dans la rue.
La vidéo nous permet d’éclater l’espace de représentation autrement que par un processus bi-frontal ou par un déplacement des spectateurs : ils assistent frontalement à la représentation et découvrent les « coulisses » du théâtre sans bouger de leur siège.
Dans ce travail d’éclatement de l’espace, la vidéo ne sera porteuse d’aucune esthétique, mais au contraire aussi crue que l’espace du plateau.


Mise en abîme de la réalité et interactivité


De la même manière que la caméra donne à voir les comédiens dans d’autres lieux du théâtre que sur la scène (coulisses, hall, toilettes…), je souhaite qu’une séquence vidéo soit filmée et montée sur place le jour du spectacle selon les différents lieux de représentation. On y verrait les comédiens arriver dans la ville de la représentation, à la gare, à l’hôtel, chercher leur chemin, et découvrir le théâtre, sous forme d’un mini documentaire muet. Dans une pièce où les comédiens n’ont aucun personnage à « défendre », aucune identification possible, où ils jouent leur propre rôle, j’imagine une sorte de prologue, comme un générique muet, pour les présenter dans leur rôle de comédiens. Ce générique serait probablement diffusé dans le hall du théâtre avant l’entrée des spectateurs.


Et toujours dans cette idée d’instantanéité et de principe de réalité, j’aimerais réunir dans chaque ville de représentation des habitants volontaires pour participer à l’élaboration d’une des séquences vidéo.
Nous les filmerions dans un lieu de vie identifiable de la ville (centre-ville, centre commercial…) sous forme d’une fausse interview sur Anne à laquelle ils répondraient par des phrases du texte…
C’est encore le décalage que nous chercherons : on s’amuse pour une fois avec cette idée de jeu de piste, d’enquête que nous réfutons tout au long de la représentation, mais ce ne sont pas les comédiens qui y jouent. Le micro-trottoir, au lieu de devenir un élément fictif de suspense dans une pièce où on parle sans arrêt d’un personnage absent, est ramené à la réalité de la représentation : Anne n’existe pas, et les personnes ayant joué sur la vidéo sont invitées au spectacle et présentes dans la salle.


Une dramaturgie de la fragmentation


Cette pièce-puzzle situe la représentation dans une fragmentation totale du propos et de la forme : chaque scénario est formellement très différent des autres et raconte une nouvelle « Anne », sans cohérence et sans évolution apparentes.


La vidéo contribuera à cette fragmentation spatio-temporelle, dans son contenu et dans sa forme.


Si elle sert en premier lieu à ancrer l’action dans la réalité d’une salle de théâtre, elle pourra également permettre de s’évader vers un univers plus fictionnel : la pièce de Martin Crimp n’a de cesse de déplacer l’action et de la resituer sans arrêt dans un nouveau lieu, un nouveau pays.
La vidéo permet cette évasion, cette hypothèse fictionnelle que nous refusons de représenter théâtralement par le biais d’un décor. Mais de la même manière que chaque action sur le plateau est plutôt évocatrice qu’illustrative (la fiction se dessine progressivement au cours de chaque scénario mais elle n’est jamais proposée d’office) la vidéo proposera des lieux de fiction évocateurs.
Le travail de l’image pré-montée sera alors plus cinématographique que celui du « micro-trottoir », mais continuera à opérer des décalages avec la réalité : pas de naturalisme mais une théâtralité, toujours, de la proposition.
Il ne s’agit pas de travailler l’image esthétiquement pour la théâtraliser mais plutôt d’opérer un décalage théâtral avec le lieu de tournage : si on filme par exemple une séquence où Anne arpente les rues de Paris, elle pourra alors être jouée par un homme avec une perruque.
Si on voit Anne dans une gare avec son sac à dos de globe-trotter, elle aura par exemple une tenue totalement inadéquate (une robe de soirée avec un sac à dos de randonneur).
Ce décalage n’est pas seulement une volonté d’abstraction. Il répond à l’aspect fragmentaire de la pièce où, malgré l’absence apparente de cohérence, chaque scénario propose toujours un détail en lien avec un autre : si dans un scénario Anne est une terroriste, dans un autre ses parents disent d’elle qu’elle voulait être terroriste étant petite… Ils disent aussi que certaines de ses photos de voyage sont pornographiques, et on décrit plus tard Anne comme une actrice porno…
Plus que les indices d’un jeu de piste, j’y vois au contraire une volonté de fragmenter encore plus la perception du spectateur et d’affirmer qu’Anne n’a aucune existence par elle-même, et n’est que le fantasme qu’acteurs et spectateurs projettent ensemble, simultanément, sur un personnage de fiction qui ne sera pas incarné.
La vidéo permet cette évasion vers d’autres lieux que celui du théâtre mais elle conservera cette participation active de l’imaginaire du spectateur plutôt que d’y répondre.


Les supports de diffusion eux-mêmes permettent cette pluralité spatiale : des petits téléviseurs faisant office d’« écran-témoin » à la projection sur le mur de fond ou sur le tableau Veleda d’un décor filmé, les divers supports permettent encore une fois d’utiliser l’espace dans une dramaturgie kaléidoscopique.
Le vidéo-projecteur mobile, la caméra, les petits téléviseurs deviendront au fil de la représentation de réelles contraintes techniques dans lesquelles comédiens et techniciens pourraient finir par s’empêtrer joyeusement lors de la séquence finale où l’auteur fait parler tous les comédiens en même temps.


Et au-delà de la fragmentation de l’espace, la vidéo m’intéresse tout autant dans sa capacité à transformer la temporalité de la représentation théâtrale : que se passe-t-il lorsqu’on a sur un plateau la présence simultanée de comédiens de chair et d’os et celle de l’image vidéo ?
Je souhaite travailler autour des deux dispositifs de transmission de l’image : en direct et pré-montée. Dans les deux cas ce qui nous intéresse est la présence des comédiens face à cette diffusion de leur image : lorsqu’ils seront filmés en direct, ils ne seront pas dans l’intimité d’un tournage et du rapport à la caméra mais bien dans une salle de spectacle en présence d’un public.


J’imagine par exemple les comédiens guetter leur image en direct pendant qu’ils jouent, et « tester » leur jeu. Ils pourront jouer autour de ce trouble que procure la vue de sa propre image et qui est habituellement absent du jeu théâtral.
Nous travaillerons aussi avec le différé : le vidéaste choisira et montera à vue des bribes d’images prises quelques instants avant pour les rediffuser sur un court instant, avec la fulgurance de l’écho.
Cette utilisation du différé mettra en évidence les récurrences du texte, toutes ces phrases qui font directement écho aux séquences précédentes, en lien avec la temporalité de la représentation.


Inversement, lors de la diffusion des séquences pré-montées, les comédiens assisteront « passivement » à leur propre jeu, mais encore une fois en présence d’une salle de spectateurs…
On peut alors imaginer que les comédiens viennent s’asseoir à l’avant-scène et regardent les spectateurs et leurs réactions plutôt que l’image. C’est toujours ce point d’orgue entre le spectateur et l’acteur que je cherche à mettre en jeu avec la vidéo.



Le texte de Martin Crimp propose également beaucoup de séquences en langue étrangère (langue africaine, d’Europe de l’Est ou d’Amérique Latine). Certaines séquences sont donc dites par les comédiens en serbe, en espagnol, en roumain et, par le technicien lumière, en polonais. J’imagine un travail de doublage en direct de certaines images, où les spectateurs assisteraient à une séance de doublage théâtralisée.


La vidéo sera toujours traitée sous l’angle de la théâtralité et dans une volonté de déstructurer l’espace-temps de la représentation.

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