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Couverture de La Bonne nouvelle

La Bonne nouvelle

de François Bégaudeau


La Bonne nouvelle : La conversion de Simon

Extrait proposé dans le cadre du dossier Pièce (dé)montée

Simon : – Au niveau du vécu, j’ai grandi dans une maison cossue avec jardin, puis avec piscine. Entre les vacances d’été à Quiberon et celles d’hiver en Savoie, je peux dire que j’ai été heureux. Mes parents m’ai- maient, ce qui ne gâte rien. Quand je vois le roi et la reine dans Peau d’âne, je pense à mes parents. Mes parents étaient les bienfaiteurs de leurs enfants, ils voulaient nous transmettre le meilleur d’eux-mêmes.


Luc : – Leur chalet en Savoie ?


Simon : – Non, leurs valeurs.


MC (maître de cérémonie) : – C’est important, ça, les valeurs.


Simon : – En tout cas je trouvais les leurs respectables, je les reprenais à mon compte sans y être forcé. Oui sans y être forcé c’est important. Mes parents marquaient des règles, ils posaient des limites comme on dit, mais au fond c’était superflu. Ces limites mes frères et moi on se les serait donné tout seuls. Ces valeurs nous avaient pénétré en profondeur.


MC : – En profondeur, Mesdames Messieurs. En profondeur.


Simon : – Mon collège du Vésinet était rempli d’adolescents soucieux de répondre aux attentes de leurs parents. Ça nous mettait une certaine pression. Une pression relative, hein. Il faudrait beaucoup d’accidents de parcours pour qu’on ne devienne pas avocat d’affaire ou chirurgien. Moi au pire je reprendrais la boite que mon père avait hérité du sien. ... J’étais ce que j’étais, voilà. Je ne faisais pas de politique. Ces types à baskets me disaient que j’en faisais, que j’étais tout sauf neutre, que consciemment ou non je défendais un camp, mais moi la seule chose qui m’importait c’était la tolérance. Chacun sa façon de vivre et de penser, du moment qu’on cohabite en paix.


MC : – C’est une bien belle leçon, Simon, que vous nous donnez là. Je propose qu’on la reporte.
C’est fait : « Chacun sa façon de vivre et de penser, du moment qu’on cohabite en paix. »


Jeanne : – On dirait du La Fontaine.


MC : – L’occasion de remercier toute l’équipe technique de La Bonne Nouvelle. C’est un petit miracle qu’ils réalisent tous les soirs.
Les quatre applaudissent, saluent vers le haut comme on le fait pendant des saluts de théâtre. ...


Simon : – Chacun deviendrait ce que ce que j’aspirais à devenir : un adulte.


MC : – Un adulte...


Simon : – En fait je crois que je voulais être mon père. Je l’étais déjà. Dans ses pas, je voyais l’humanité comme une communauté que la division désintègre. J’essayais toujours d’être constructif, de trouver des compromis entre les différentes positions, sans sectarisme. Sans idéologie.


MC : – Sans idéologie, Mesdames Messieurs. Sans idéologie. Cela peut s’afficher. Cela s’affiche sur le tableau.


Simon : – Mon père était très... libéral.


MC : – Très libéral ?


Simon : – Très tolérant, quoi.


...


Simon : – Une fois une phrase d’un des agités de la cour m’avait retenu. ... Il avait dit : « Jésus est le premier communiste de l’histoire »


MC, au public : – Jésus est le premier communiste de l’histoire !


Madeleine, en aparté : – Et le deuxième c’est qui ?


Simon : – Il avait ajouté : Les bourgeois devraient avoir honte de s’en réclamer. Moi j’avais haussé les épaules, comme un père devant une bouffonnerie de son fils. Il fallait bien que jeunesse se passe.


Jeanne, à Madeleine : – Robert Hue ?


Simon : – Et puis la phrase m’était restée. Elle m’avait travaillé. Elle me tournait autour comme un moustique.
Elle se posait sur ma joue, je croyais l’écraser d’une main, et c’est moi que je giflais.


Simon commence à se mettre en place pour une saynète.


Simon : – J’ai fini par en parler à mon père. Mon père saurait quoi répondre. Mon père savait.


Dans la continuité, MC et Simon se sont positionnés pour jouer la scène suivante.


Marthe : – Simon, dans son propre rôle enfant, rejoint Patrick, qui incarne son père. Quelques éléments figurent un décor de montagne.


Petite musique Georges Delerue, flashback positif et édifiant. Scène matricielle de film américain.
Marthe fait donc les didascalies.


Simon : – Papa...


Père : – Oui mon fils.


Simon : – Papa j’ai une question.


Père (souriant) : – Ça tombe bien j’ai la réponse.


Marthe : – Plaisante-t-il ? C’est indécidable. Il est en train de couper du bois.


Simon : – Ça me travaille.


Père : – Tant mieux. Tant que ça travaille, tout est en ordre.


Marthe : – La scène se déroule peut-être derrière le chalet de Savoie.


Simon : – Je me disais....


Père, l’interrompant : – Tu te plais bien au collège ?


Simon : – Oui, oui. Les maths c’est dur mais je m’en sors.


Père : – Tant mieux. Tant mieux si c’est dur. Si c’est dur c’est pas mou.


Simon : – Je me disais... Jésus, il aimait pas trop l’argent, non ?


Père, toujours bonhomme : – Ah bon, tu l’as connu ?


Simon : – Non, mais je veux dire il est quand même pas très sympa avec les marchands du temple...


Père : – Effectivement. Pas très sympa.


Simon : – Du coup je me disais qu’un chrétien devrait pas gagner d’argent. Pas faire de commerce, en tout cas. Enfin voilà c’est entre commerce et Jésus que je vois pas bien le...


Marthe : – Cette fois le père prend au sérieux l’affaire, mais sans perdre de son assurance.


Père : – Jésus condamne le culte de l’argent, pas l’argent. Jésus condamne le Veau d’or, pas le veau. L’argent n’est pas condamnable si un sou est un sou. C’est l’usure qui est condamnable.


Simon : – L’usure ?


Père : – L’usure c’est quand un sou est davantage qu’un sou. Quand l’argent rapporte de l’argent.


Simon : – Genre les banquiers ?


Père : – Oui, en gros.


Simon : – Toi ça t’arrive d’emprunter à des banques.


Père : – Non, jamais ! (sourire)


Marthe : – Simon n’a pas perçu l’ironie.


Simon : – Ben si.


Marthe : – Il lui pose la main sur l’épaule.


Il le fait.


Père : – Je le fais en tant qu’entrepreneur. Je le fais pour que mon entreprise se développe. Pour que des maisons se bâtissent et que des gens y habitent, et qu’ainsi s’étende la cité des hommes. Un entrepreneur chrétien ne travaille pas pour l’argent, mon fils. Il travaille à la prospérité de tous, d’où découlera la sienne. Du moment qu’il est sain et pondéré, le commerce réveille les forces vives, comme le paysan fait fructifier la terre, à la sueur de son front.


Simon : – Oui mais qu’est-ce qu’on fait de...


Père : – De quoi ?


Simon : – Non, rien...


Père : – Si vas-y. Qu’est-ce qu’on fait de quoi ?


Simon : – D’un conseiller financier. Un conseiller financier, il ne fait fructifier que de l’argent...


Père : – De l’argent qui servira à créer des emplois, ce qui consolidera la société, car le travail structure la société comme une poutre charpente une maison. Tous les travailleurs sont à leur manière des charpentiers. Comme Joseph. Comme Charles Ingalls.


Simon : – De La petite maison dans la prairie ?


Père : – La semaine je travaille, et le septième jour seulement je me repose. Ce qui n’est pas une raison pour ne pas ouvrir les magasins le dimanche, hein ?


Marthe : – Il rigole. Simon aussi, par mimétisme.


Père : – Il n’y a d’authentique repos qu’après le travail. Un repos qui ne ponctue pas un travail n’est pas du repos mais du laisser-aller. Un bon chrétien travaille et entreprend.


Simon : – Merci papa, tu me retires un poids.


Père : – Je suis là pour ça. Te soulager du fardeau de la vie. Mais attention : pas trop quand même. Chacun doit porter une part du fardeau. Chacun de nous doit prendre la société sur ses épaules.


Simon : – Oui c’est ce que je vais faire.


Père : – Et n’oublie jamais : Charles Ingalls.


Marthe : – Simon étreint son père. Le générique de La petite maison dans la prairie retentit quelques secondes.


Son : Générique Petite maison dans la prairie.


Simon s’est remis en position récit.


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