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[Sayônara (version 2)]

+ d'infos sur le texte de Oriza Hirata
mise en scène Oriza Hirata

: Entretien avec Oriza Hirata

Propos recueillis par Hugues le Tanneur pour le Festival dʼAutomne à Paris

Quʼapporte lʼutilisation dʼun robot dans lʼespace scénique ? Sʼagit-il dʼune forme dʼétrangeté – comparé aux acteurs ? Nʼy a-t-il pas là un paradoxe dans la mesure où ce robot est censé ressembler le plus possible à un être humain ? À moins que ce ne soit justement sur ce décalage ambigu entre humain et robot sur lequel vous cherchez précisément à jouer ?


Oriza Hirata : Lʼutilisation dʼun robot nʼa pas beaucoup dʼimportance. Dans 20 ans, il sera normal de voir des robots sur scène, cela nʼa donc pas de sens particulier. Aujourdʼhui, sʼil faut trouver un sens à cette utilisation, cʼest parce que personne dans le monde entier ne lʼa fait jusquʼà présent. Cʼest la seule raison pour laquelle jʼutilise des robots sur scène. Cette raison est suffisante pour un artiste. Mais grâce à cela, je pense que les spectateurs devraient réfléchir à la question du théâtre et du comédien.


Quelle est la différence, dans ce contexte, entre un robot et une marionnette ?


Oriza Hirata : Il nʼy a pas de différence entre les deux. Cʼest juste dʼun point de vue fonctionnel, le robot est peut-être plus autonome et plus précis.
A ce propos, cʼest presque la même chose que la différence entre une marionnette et un être humain.


Lʼécriture de la pièce prend en compte le fait que le personnage soit un androïde. Est-ce que cette idée de travailler avec un robot est au point de départ de lʼécriture de la pièce ? Lʼorigine de cette création est-elle le désir de travailler sur un spectacle mêlant acteurs et robots ?


Oriza Hirata : Il est vrai que jʼai écrit cette pièce en prenant en compte le fait que les personnages sont joués par des robots. Mais lʼidée de travailler avec eux nʼétait pas forcément mon point de départ. Pour moi, travailler avec des robots représente la même chose que travailler avec des comédiens qui sont plus gros que la moyenne.


Comment avez-vous rencontré Hiroshi Ishiguro ? Est-ce vous qui lui avez proposé ces projets mêlant théâtre et robot ?


Oriza Hirata : Jʼai rencontré Hiroshi Ishiguro par lʼintermédiaire du président de lʼUniversité dʼOsaka où jʼai commencé à travailler, il y a six ans. Cʼest moi qui lui ai proposé un projet et nous nous sommes mis à travailler ensemble tout de suite après.
À partir de 2011, nous avons développé ce projet avec des fonds dʼétudes scientifiques importants que le gouvernement japonais nous a accordés.
Dès le départ, nous ne voulions pas faire la présentation de robots comme dans une « exposition » contrairement à ce qui est fait traditionnellement. Car, les gens admirent la technique présentée dans une « exposition » mais cela ne les touche pas. Nous voulions donc réaliser des robots qui étaient capables dʼémouvoir les gens.


Comment travaillez-vous ensemble ? Comment la dimension artistique et lʼaspect scientifique se rencontrent-ils ?


Oriza Hirata : Je me suis tout de suite senti à lʼaise en travaillant sur ce projet car même, quand, au lieu que ce soient des robots, jʼai affaire à des comédiens en chair et en os, je ne donne que des directions très concrètes ; comme, par exemple, de faire trois secondes de silence.
En ce qui concerne le processus de création dʼun spectacle, il nʼy a pas dʼ« aspect scientifique » car je dirige tout seul. Dans un premier temps, le professeur Ishiguro mʼa proposé plusieurs choix de robots qui étaient disponibles à ce moment-là. Après avoir étudié leurs performances, je me suis mis à écrire une pièce. Il nʼest pas prévu que le professeur Ishiguro intervienne dans lʼécriture de la pièce ou dans la mise en scène.
Lors de la création de la pièce, je lui ai fait des propositions avec lʼidée de créer un autre spectacle. Cʼest ainsi quʼà travers notre collaboration nous avons pu améliorer les robots.


Quand, comment et pourquoi avez-vous commencé à travailler avec des robots ?


Oriza Hirata : Jʼai créé mon premier spectacle avec des robots en novembre 2008, celui-ci durait 30 minutes. Ce qui mʼa motivé tout dʼabord, cʼétait que pour la première fois dans le monde nous avions la possibilité de créer une pièce de théâtre avec des robots de haut niveau.


Quel est le sujet de Sayonara ? Quel rôle y joue le robot ?


Oriza Hirata : La contrainte de départ est que le robot ne peut pas bouger. Cʼest pour cette raison que jʼai écrit Sayonara sous la forme dʼune pièce dans laquelle un androïde continue à lire des poèmes devant une mourante (dans Trois Soeurs version androïde, en revanche lʼandroïde peut bouger).
À mon avis, sʼil existe une différence visible entre un robot et un être humain, cʼest en relation avec la question de la « mort ».


Comment dirige-t-on un robot sur des planches de théâtre ?


Oriza Hirata : Je ne dirige pas de robot, mais je donne des indications à son programmeur. Cela consiste, par exemple, à lui dire dʼattendre deux secondes ou dʼincliner la tête de quinze degrés à droite. Aujourdʼhui, il existe un système qui me permet de le contrôler tout seul pour corriger le temps de silence ou donner des indications simples.


Pourquoi vous être inspiré de la pièce Les Trois Soeurs de Tchekhov ? Lʼidée était-elle de vous confronter à un classique, à une pièce souvent jouée du répertoire ? Sʼagissait-il de voir comment la pièce tient le coup si on la transporte dans un contexte différent ? Ou est-ce quʼil sʼagit au contraire dʼune inspiration très libre, dʼun point de départ ? Comme si vous considériez Les Trois Soeurs comme un thème sur lequel vous souhaitiez imaginer quelques variations ?


Oriza Hirata : Jʼai imaginé que si des robots jouaient dans sa pièce, cela ferait plaisir à Tchekhov. Mais la raison qui mʼa poussé à choisir un texte du répertoire et donc Tchekhov, cʼest aussi parce que jʼai pensé que cʼétait mieux de choisir une pièce classique que tout le monde connaît afin de prouver que les robots sont capables de jouer nʼimporte quel rôle. Jʼavais dʼabord hésité avec Roméo et Juliette et finalement jʼai choisi Les Trois Soeurs parce que cʼest une pièce qui ne nécessite pas beaucoup de changements de scène.


Que représente Tchekhov pour vous ? Est-ce un auteur qui vous a marqué, par son théâtre mais aussi ses récits et même son voyage à lʼîle de Sakhaline – proche du Japon ?


Oriza Hirata : Je nʼai pas été influencé par son voyage à lʼîle de Sakhaline. Ce qui mʼa beaucoup marqué chez Tchekhov, cʼest le fait quʼil ait décrit les femmes et les hommes de lʼEmpire Russe en voie dʼeffondrement avec un regard plein dʼamour. Jʼessaie, moi aussi, à ma façon, de décrire les femmes et les hommes du Japon, un pays qui est en train de sʼeffondrer. Quand jʼétais jeune, jʼavais un regard critique vis-à-vis des gens ordinaires. Cʼest Tchekhov justement qui mʼa appris comment représenter les gens ordinaires avec amour, sans porter de jugement.


Votre théâtre fait souvent référence à des auteurs ou à des artistes occidentaux. Vermeer, Paul Valéry, Thomas Mann, Samuel Beckett… Que représentent ces artistes ou ces auteurs pour vous ? Quels rôles ont-ils joués dans votre parcours dʼécrivain ? Les considérez-vous comme une influence ? Pourquoi avez-vous le souci de les évoquer comme référence ?


Oriza Hirata : Je me demande si vous poseriez la même question aux auteurs et aux metteurs en scènes français. Ce qui est triste mais vrai, cʼest que nous, les auteurs japonais, avons des sources intellectuelles qui viennent de lʼOccident. Nous sommes aussi beaucoup influencés par des auteurs japonais. En ce qui me concerne, jʼécris des pièces en étant influencé par beaucoup de prédécesseurs.


Vous avez dit notamment avoir appris de Vermeer la façon de découper lʼespace et dʼOzu – un Japonais cette fois – celle de découper le temps. Justement votre théâtre se caractérise par une utilisation du temps et de lʼespace très particulière. Le temps y est souvent ralenti, presque suspendu ; cʼest un temps de lʼattente et de latence, comme si quelque chose se tramait en profondeur tandis quʼà la surface tout paraît calme, du moins en apparence. Existe-t-il une relation entre le temps et lʼespace dans lequel il se déroule dans vos mises en scènes ? Pensez-vous lʼécriture de votre théâtre en termes de temps et dʼespace ? Etes-vous déjà metteur en scène quand vous écrivez ?


Oriza Hirata : Tout dʼabord, pour répondre à votre dernière question, au Japon, je mets en scène presque tous mes spectacles. Quand jʼécris des pièces, jʼai toujours envie de transcrire la réalité avec cinq centimètres dʼécart. Cʼest pareil pour la mise en scène. Comme vous lʼavez remarqué, dans ce monde qui est décalé de cinq centimètres par rapport à notre monde, le temps sʼécoule différemment. Mais si lʼon nʼy prête pas attention, on nʼaperçoit pas cette différence. Cʼest comme si lʼon regardait un trompe-lʼoeil dont chaque élément paraîtrait normal mais lorsque lʼon en combine plusieurs, cela donne une image déformée du monde. Cʼest cela que je cherche à réaliser avec le théâtre.


Cette fois vous transposez le monde de Tchekhov dans un univers qui relève de la science-fiction. Ce thème de la science-fiction nʼest pas nouveau chez vous. Pourrait-on dire que votre théâtre travaille beaucoup sur le thème de lʼanticipation, lʼidée de se projeter dans un avenir plus ou moins proche ? Dans ce cas dʼoù naît ce besoin de se transposer par le biais de la fiction dans lʼavenir ? Est-ce une façon dʼeffectuer un pas de côté pour mieux observer notre présent ?


Oriza Hirata : Je ne sais pas si lʼon peut mieux observer. Mais je peux vous donner lʼune des raisons qui me motivent : cʼest parce que je nʼaime pas utiliser des mots à la mode dans mon écriture et donc je préfère transposer lʼépoque où se déroulent les faits dans un futur proche. Ce que je voudrais écrire est peut-être quelque chose du style : « Cʼest un avenir qui nʼaurait pas lieu », je voudrais écrire un avenir avec cinq centimètres dʼécart.


Dʼautant plus que pour vous le futur correspond souvent à un univers presque apocalyptique ou du moins marqué par la catastrophe… Cette question du futur est dʼautant plus intéressante sʼagissant dʼune pièce comme Les Trois Soeurs qui oppose précisément présent et futur, puis présent et passé – mais pas dans le sens de la science-fiction. Chez Tchekhov, il sʼagit du futur comme souhait, « Nous irons à Moscou », du futur comme désir, non comme angoisse, même si cela renvoie aussi à la déception liée au présent, à lʼennui du quotidien. Mais est-ce quʼil nʼexisterait pas quand même une relation entre cette vision du futur comme un monde auquel on aspire et une certaine inquiétude liée au quotidien ? Est-ce que dans votre théâtre, vous ne transportez pas dans le futur des angoisses de notre présent en leur créant un contexte légèrement différent ?


Oriza Hirata : Je pense quʼil nʼy aura ni rêve, ni espoir et ni désespoir dans notre avenir. Il y a quarante ans, nous imaginions que le XXIe siècle allait être le siècle de lʼespoir. Mais en réalite, aucun changement nʼa eu lieu en 2001. Je pense que ce sera pareil pour le XXIIe siècle. Les êtres humains se tourmenteront toujours pour la même chose. Je voudrais juste écrire cela.


Par exemple, dans votre version de la pièce, les trois soeurs vivent dans un contexte social désastreux – une ville sinistrée par la désindustrialisation. Quel rôle joue ce contexte dans leur vie ? En quoi sont-elles un reflet de ce contexte ?


Oriza Hirata : La désindustrialisation est un problème très important dans les villes de province. Cʼest la raison pour laquelle je voulais écrire cette pièce à la manière du film anglais The Full Monty. Mais, ce fond social nʼest toujours quʼun fond de toile pour moi. Ce que jʼessaie de décrire dans cette pièce, cʼest le fait que les gens paraissent vivre impassiblement sans être liés à ce fond de toile.


Le père décédé était un ingénieur en robotique. Que représente ce thème de la robotique ? Est-ce un progrès ? Ou sʼagit-il au contraire du remplacement de lʼêtre humain par la machine, ce qui est un gain pour la productivité, mais pas forcément pour lʼemploi ?


Oriza Hirata : Il est vrai que plus la robotique se développe, plus elle écarte les êtres humains. Mais je pense quʼil nʼest plus possible dʼempêcher ce développement. Cʼest comme nous qui ne pouvons plus vivre sans ordinateur ni téléphone portable. Dans ce cas-là, il nous faut accepter cette absurdité et réfléchir à comment nous pouvons vivre avec. Je ne souhaite pas décrire « les gens qui sont remplacés par des machines » mais je voudrais montrer « les gens qui nʼont pas conscience dʼêtre remplacés par des machines ».


Vous travaillez régulièrement avec des acteurs de différentes nationalités. Français, iraniens, entre autres… Quelles différences ressentez-vous en ce qui concerne le jeu de ces acteurs comparés aux acteurs japonais ? Quʼest-ce qui caractérise, à votre avis, le jeu dʼun acteur français, iranien, japonais, autre… ?


Oriza Hirata : Cʼest une réponse banale, mais pour moi il nʼy a pas de différence entre les nationalités. Il y a de bons acteurs et de mauvais acteurs, cʼest tout ! Je pense quʼil nʼy a pas vraiment de caractéristiques. Je crois que chaque acteur a son propre processus de travail dans lequel il trouve sa propre valeur. Jʼessaie donc de diriger chaque acteur en respectant ce qui lui est cher.

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