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Ylajali

mise en scène Gabriel Dufay

: Entretien avec Jon Fosse

Réalisé à Oslo en novembre 2012 - Extraits

Gabriel Dufay : Comment et pourquoi avez-vous eu l’idée d’appeler cette pièce, du nom d’Ylajali, nom inventé qui désigne le personnage féminin dans le roman Faim de Knut Hamsun ? Pourquoi ne pas avoir conservé le titre original ? Qui est pour vous Ylajali ? Est-ce vraiment le personnage féminin ?


Jon Fosse : Il est vrai que le personnage de la Femme m’intrigue beaucoup.
Mais c’est surtout pour créer une distance avec le roman que j’ai utilisé un autre titre que Faim. J’aime aussi tout simplement le mot, le son de ce mot : Ylajali. J’aime comment il résonne. ce n’est pas un nom réel, un mot existant, mais bien une construction de l’esprit. On le relie juste au roman de Hamsun si on le connaît.


G.D. : En lisant cette pièce, on peut se demander si le personnage de la Femme est vraiment Ylajali, car Ylajali est peut-être le nom de quelque chose d’autre, plus grand, plus indicible.


J.F.: C’est aussi la raison pour laquelle je ne voulais pas nommer la pièce Faim, parce que ce n’est pas à proprement parler une adaptation du roman. C’est plutôt une sorte de vision, de variation ; il s’agit d’une pièce qui m’appartient, tout autant qu’à Hamsun. Je suis trop libre avec les noms, avec les personnages : la Femme, le Jeune Homme et particulièrement le Vieil Homme - qui est un concentré de tous les personnages que le Jeune Homme rencontre dans le roman. Ce qui ajoute du mystère. Et puis je me concentre aussi sur ce qui se cache derrière les mots.


G.D. : Quand j’ai lu Ylajali pour la première fois, je me souviens avoir pensé que je découvrais un texte contenant les traces du roman de Hamsun. Ce sont des traces que l’on décèle sur le papier, du fait de votre style, de votre manière de structurer le texte. Mais aussi du fait de votre art de l’ellipse et de l’importance que vous donnez aux silences, à ce qui n’est pas dit, à tout ce que vous avez effacé mais qui se tient, invisible, entre les mots. Pour moi, c’est une histoire de traces… Il y a des indices pour le spectateur, qui est invité à une enquête tout autant théâtrale que littéraire.


J.F. : Cela a aussi à voir avec ma propre vision. (…) Je ne me souviens pas exactement, mais je sais que quand j’écrivais la pièce, je sentais qu’il fallait que je me concentre sur trois personnages seulement, trois entités. Une relation triangulaire. J’en ai eu l’intuition. Je sentais que c’était juste.
Mais vous savez, je n’écris pas de manière réaliste, je n’y arrive pas, j’ai une ma manière d’écrire plus poétique. Je n’écris pas, c’est quelque chose en moi que je laisse écrire. Pour moi, écrire c’est écouter. J’écoute des voix silencieuses. Je ne vois rien quand j’écris. J’écoute… Je suis à l’écoute de forces obscures et floues, des forces intérieures, des sons émotionnels, en quelque sorte.


G.D. : Les personnages, dans cette pièce sont des désaxés, des naufragés, très pauvres, mis à la marge de la société. Dans toutes vos autres pièces, on retrouve ces marginaux. Avez-vous à coeur de mettre sur le plateau des gens qui n’appartiennent pas à l’ordre établi ?


J.F. : Dans tout ce que j’écris et ce qu’écrit Hamsun, les personnages sont pauvres mais ne se voient pas, ne se ressentent pas comme pauvres. Ils ont une sorte de richesse intérieure. Ils se débrouillent avec ce qu’ils ont.
Dans les tragédies grecques, on trouve des rois, des reines, des dieux, des sortes d’entités mythiques qui transmettent quelque chose de l’être humain. Ces mythes me travaillent. Et dans l’univers de Hamsun, finalement c’est pareil : les personnages sont des entités et il n’y a pas l’objectif de résoudre des problèmes sociaux.
(…) Les personnages d’Hamsun se satisfont de leur situation, de leur pauvreté, à un endroit ils la revendiquent. Il y a dans son oeuvre comme un bonheur de la pauvreté.
L’énergie, la vie, la lumière aussi de ces personnages sont fantastiques. La façon qu’ils ont de tout faire pour survivre, envers et contre tout, me bouleverse.

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