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Vous en rêvez (Youri l'a fait)

+ d'infos sur le texte de Judith Depaule
mise en scène Judith Depaule

: Notes de mise en scène

La matière du spectacle se compose de documents officiels (déclarations de Gagarine, discours dʼhommes politiques, médias soviétiques et français), de sources officieuses et de légendes, de témoignages (enquête auprès de ses proches, enquête sur la mémoire du 12 avril 1961 en Russie et sur la mémoire de Gagarine en France), de dessins animés, de vidéos dʼarchives, de musique électronique dʼinspiration cosmique... La pièce résulte de lʼagencement syntaxique de ces différents matériaux. Elle sʼorganise comme une partition alternant trois modes narratifs qui illustrent les trois visages de Gagarine. Tous les médias convoqués dans le spectacle (musique, lumière, traitement des voix et spatialisation sonore, vidéo, lumières, robot, scènographie, costumes, texte et interprétation) déclinent trois états qui suivent les trois états narratifs.
- Le héros : traitement allégorique et féérique
- Le cosmonaute : traitement naïf à la manière des années 60
- Lʼhomme : traitement hyperréaliste


Scénographie et costumes
La scénographie suggère un mélange de cosmodrome, de station orbitale, de vaisseau spatial. Une partie de la régie ainsi que les musiciens sont intégrés au dispositif scénique, comme les techniciens indispensables au bon déroulement des opérations. Sont répartis sur des estrades rondes les régies techniques et les instruments de musique, ainsi quʼun mobilier dʼinspiration cosmique, le tout de couleur noir et certi dʼélèments lumineux. À mi-hauteur, une tour avec plateforme (à la fois vaisseau spatial, tribune et piedestal...) desservie par une échelle, qui évolue devant un grand écran de projection de 6x8m. Les costumes sont constitués dʼune combinaison spatiale transformable noire à laquelle viennent sʼajouter des élèments de couleurs vives et lumineux.


Vidéo
La vidéo est projetée sur un grand écran en fond de scène grâce à un vidéo projecteur muni dʼun grand angle et mixée en direct.
- Mode allégorique
Sous forme de dessin animé, lʼépopée du héros est retracée dans le style traditionnel des miniatures sur laque de Palekh, village situé au nord-est de Moscou (sur fond noir, des scènes aux couleurs vives traitent de sujets féeriques et folkloriques de façon symbolique et expressive). Inspiré de la technique des icônes, après la révolution, cet art se met au service de la propagande communiste.
- Mode naïf
Des dessins “dʼenfants” animés de façon naïve, à lʼinstar des dessins faits par les premiers cosmonautes à leur retour sur Terre et de la littérature enfantine de lʼépoque, donnent à voir le cosmos et la société soviétique de lʼépoque.
- Mode hyperréaliste
Certaines séquences sont filmées en direct et retransmises sur lʼécran permettant des gros plans exagérés et lʼirruption brutale du réel. Des vidéos préenregistrées figurent le subjectif de Gagarine au moment de sa mort et de ses entraînements. Des archives amateurs (photos, super 8) témoignent de son passage en France.


Lumières
Le traitement de la lumière est conçu de manière à soutenir les trois axes narratifs. Pour le héros, le traitement lumineux produit une impression hiératique, les corps et lʼ espace sont magnifiés, apparaissent plus grands que nature. Pour le cosmonaute, la lumière est très contrastée et recourt à des filtres de couleurs franches. Pour lʼhomme, le traitement lumineux est plus discret, plus intime, lʼespace apparaît quotidien et annule le rapport scène-salle. La lumière sʼémancipe des sources traditionnelles et contamine le mobilier scénique et les costumes grâce à de nouveaux équipéments (micro-sources, tubes flexibles) adaptés aux exigences dʼun spectacle.
Lʼensemble de la conduite lumière est gérée par une interface informatique LanBox LCX, en relation étroite et en synchronisation avec le son, la musique et la vidéo(Max MSP, PurData). Cette option permet une grande souplesse et une précision de composition des atmosphères lumineuses en relation aux autres médias utilisés. Les différentes régies, synchronisées, peuvent échanger des variables. Un système de micros et de capteurs à distance communique par le biais de ce réseau, qui ouvre un champ dʼinteractions en temps réel et dʼimprovisations, comme, par exemple la modulation par le theremin du rendu de lʼimage du cosmonaute sʼexprimant depuis sa capsule, ou encore lʼaccord du spectre lumineux avec le spectre sonore.


Robotique
La présence dʼun chien robot (AIBO Sony) est un hommage à la première chienne de lʼespace, Laïka, premier être vivant à avoir pris le chemin du cosmos, qui, si elle avait été un robot ne serait jamais morte dʼhypothermie en plein vol. Cʼest aussi une réponse possible à lʼimmortalité des héros. Le chien a le rôle dʼun animal familier, voué de qualités surnaturelles. La machine est dotée de capteurs de pression, de microphones, dʼun haut-parleur (émission de séquences midi ou de fichiers préenregistrés) et dʼune caméra qui lui permet de reconnaître son environnement, elle peut répondre à des commandes vocales. Grâce à un module WIFI, il est possible de récupérer le son des micros, lʼimage de la caméra, la température du processeur en temps réel. Il est possible de télécommander le chien robot à distance comme de lui conférer des comportements autonomes.Le recours à cette machine illustre lʼincontournable corrélation des avancées de la conquête spatiale et du développement de la robotique (pour rappel le vaisseau qui accueillit Gagarine était entièrement robotisé) et lʼéventuelle “sur-intelligence” des machines.


Musique
La musique est présente de bout en bout du spectacle. Son choix esthétique répond à un désir de véracité historique. Alexeï Leonov, 1er cosmonaute à être sorti de sa capsule en orbite en 1963, déclarait : « La musique des instruments électroniques répond on ne peut plus parfaitement à la sensation que jʼéprouvais dans le cosmos. » Les compositeurs de lʼépoque saluaient en retour par des pièces délirantes les débuts de la conquête spatiale. De nombreuses oeuvres des laboratoires de recherche Philips (1956-1963) célébraient le cosmos sous les titres Song of the second moon (Dick Raaijmakers), Fantasy in orbit (Tom Dissevelt)… Le premier disque entièrement enregistré sur un synthétiseur (la Buchla Box conçue par Don Buchla) en 1967 sʼintitulait Silver Apples of the Moon (Morton Subotnick). Telstar, morceau écrit en hommage au satellite américain par le producteur Joe Meek et interprété par The Tornados, devenait un standard et était repris dans le monde entier. Le groupe The sputnicks se formait à la fin des années cinquante…
Leonov ne faisait que confirmer ce que lʼon savait depuis longtemps déjà : la relation étroite qui liait sons électroniques et espaces intersidéraux. En 1919, à Saint-Petersbourg, Lev Termen (Léon Thérémin) inventait lʼun des premiers instruments électroniques, lʼétherophone, rebaptisé dix ans plus tard « theremin », et Lénine lui-même comprenait immédiatement que le nouvel instrument était un formidable outil de propagande pour démontrer à lʼOccident la supériorité technique soviétique, comme le serait plus tard le vol de Gagarine. Le theremin connut dʼailleurs son heure de gloire dans les années cinquante avec le cinéma de science-fiction américain qui usait, parfois jusquʼà lʼécoeurement, du couple démoniaque qui est sa signature sonore : glissando et vibrato. Ce cinéma donna naissance à quelques pages superbes comme celles que composa Bernard Herrmann en 1951 pour le film de Robert Wise The day the Earth stood still, où lʼon entend le theremin accompagner la menace proférée par lʼenvahisseur venu de lʼespace : « Klaatu, barada, nikto ! » Instument-roi du genre, le theremin inaugurait un champ nouveau : en 1956, Forbidden Planet, réalisé par Fred McLeod Wilcox, proposait la première musique de film entièrement électronique composée par Louis et Bebe Barron, sur des instruments conçus et fabriqués par eux dans leur studio de Greenwich Village.
La musique du spectacle, interprétée en direct et sur scène par deux instrumentistes, est elle aussi totalement électronique. Elle rend hommage au charme désuet des oeuvres inspirées par la conquête de lʼespace et revisite les codes et idiosyncrasies de la musique de film de science-fiction. Elle recourt principalement à des instruments dʼépoque (voire même antérieurs), theremin (1919) et ondes Martenot (1928), mais aussi à des synthétiseurs Moog et EMS dont la conception remonte aux années 1960, seuls ou hybridés avec des ordinateurs. La musique rythme lʼensemble de la pièce, donnant à certaines parties du texte énoncé par les comédiens lʼaspect dʼun récitatif entre chant et parole. Elle contamine les voix des interprètes, subtilement filtrées et spatialisées selon les différents modes narratifs. Elle module à loisir spectre lumineux et images vidéo. Des citations de chants soviétiques ponctuent lʼensemble.La musique est cosmique, héroïque et actuells. Comment relever lʼéternel défi que pose la musique de lʼespace, où faute dʼair, on nʼentend aucun son…..


Theremin et ondes Martenot
Le theremin, inventé par le physicien et musicien soviétique Lev Sergueievitch Termen (plus connu en occident sous le nom de Léon Theremin) en 1919, est un des plus anciens instruments électroniques. Quelques tentatives avaient vu le jour auparavant (comme le telharmonium de Thaddeus Cahill, 1905), mais le theremin est le seul survivant des débuts de la lutherie électronique. Il a pour caractéristique de ne pas être pourvu dʼun clavier, comme lʼest la plupart des synthétiseurs apparus par la suite, mais dʼêtre joué à distance au moyen de deux antennes, lʼune commandant le volume et lʼautre la hauteur de la note produite. Cette particularité fait du theremin le 1er instrument non-haptique de lʼhistoire de la musique, et le précurseur de tous les dispositifs de captation gestuelle que lʼon voit apparaître depuis quelques années. Lʼabsence de clavier autorise des variations de hauteur subtiles et des glissandos de grande étendue, mais complique aussi la tâche des instrumentistes, qui ne peuvent pas se référer à des repères physiques dans lʼespace. Ceci explique la relative obscurité de lʼinstrument tout au long de son histoire, et aussi le petit nombre de thereministes.
Edgar Varèse fût un des 1ers à sʼintéresser à lʼinstrument et à composer pour lui (Ecuatorial, 1935). Mais il fût surtout utilisé dans les années 50, en particulier dans la musique exotica et le cinéma de science-fiction. Toujours fabriqué aujourdʼhui ( par la maison Moog aux USA), il connaît un regain dʼintérêt, en particulier dans les musiques expérimentale et contemporaine. Le 1er modèle dʼondes Martenot, instrument électronique présenté par son inventeur Maurice Martenot en 1928, était actionné « à distance » à lʼaide dʼun câble et dʼun jeu de poulies. Il faudra attendre plusieurs années pour quʼil soit doté dʼun clavier. Ce clavier, flottant, permet des variations microtonales, il est complété dʼun dispositif formé dʼune bague actionnant un ruban qui, en se déplaçant au-dessus du clavier, permet, comme avec le theremin, un jeu en glissando. Si le son évoque à celui du theremin, il offre une variété de timbres plus riche par lʼadjonction de diffuseurs (haut-parleurs spéciaux, munis de ressorts réverbérants ou de cordes sympathiques). Contrairement au theremin, dont la forme définitive fût fixée dès lʼorigine, il fût perfectionné par son inventeur jusquʼà sa mort en 1982. Les ondes Martenot ont suscité un vaste répertoire (Darius Milhaud, Olivier Messiaen), et font lʼobjet dʼun enseignement officiel au concervatoire de Paris depuis plusieurs décennies.

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