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Une saison de machettes

+ d'infos sur le texte de Jean Hatzfeld
mise en scène Dominique Lurcel

: Présentation

Note d’intention


Ils sont dix.
Dix copains rwandais, hutus,copains de classe, de matchs de foot, de travaux des champs.
En trois mois, d’Avril à Juin 1994, ils ont massacré à la machette, « sans rien penser », tout ce que leur bourgade et les collines voisines comptaient de tutsis, près de cinquante mille, hommes, femmes, enfants, leurs « avoisinants », avec qui ils avaient aussi partagé bancs de classe, bancs d’église, soirées arrosées et matchs de foot.
Jean Hatzfeld les a rencontrés dans la prison où ils purgeaient leurs peines (A ce jour, tous, sauf un, ont retrouvé la liberté, leur village, et ceux qu’ils n’avaient pas eu le temps de tuer) : ils ont raconté calmement, placidement, d’une voix posée, presque neutre.
Paroles sans précédent, si l’on se réfère aux autres grands génocides du siècle (même si l’on pense, ici, au journal tenu par Rudolf Höss, le Commandant d’Auschwitz, ou, là, au film de Rithy Panh,S 21). Paroles littéralement sidérantes, au moins autant par la forme qu’elles prennent que par leur contenu, qui posent les questions essentielles sur l’homme, et ce qu’on a appelé, il y a moins d’un siècle « la banalité du mal », mais aussi sur les mécanismes –idéologiques, collectifs et individuels- qui en autorisent l’épanouissement.
Il y a dix ans, j’ai mis en scène des Conversations avec Primo Levi, qui posaient déjà les mêmes questions, à propos d’Auschwitz. Ces Conversations ont été jouées pendant sept saisons, dans toute la France. Ce travail en est la suite.
Le livre de Jean Hatzfeld alterne les paroles des « coupeurs », le regard aigu, bouleversant,de quelques rescapés –leurs « avoisinants »-, en majorité des femmes, et les réflexions, les mises en perspective de l’auteur. Tout y est passionnant. Le choix des textes, inévitable, s’est entièrement resserré autour des récits des cultivateurs, dans la volonté d’une confrontation nue, directe avec chaque spectateur. Pour que chacun,en toute liberté, se construise son jugement, ses interrogations. De Jean Hatzfeld,on a seulement conservé, en guise d’ouverture, les premières pages, et quelques interventions, comme autant de respirations nécessaires.
Difficile de parler de « spectacle ». Il s’agit plutôt d’une mise en voix collective, d’une « livraison »de récits : un chœur tragique du siècle – le tragique trouvant ici une dimension supplémentaire dans le décalage entre l’acte et la manière de le dire, un décalage tel qu’il frôle parfois, même s’il est difficile de le reconnaître, le burlesque. Tout le travail, ici, consiste à tenter de faire entendre ce décalage, dans la recherche de la transmission la plus juste, loin de toute réduction, ethnique ou psychologique. Quatre comédiens, une contrebasse, un mur et quelques lumières. Le mot, ici, est l’essentiel, et il s’agit, dans le temps et l’espace resserrés de la représentation, d’en dilater le sens, au maximum. Sans pathos ni métaphore. Primo Levi : « L’horreur est . Il vaut mieux laisser les choses se raconter d’elles-mêmes»
Il ne s’agit pas de désespérer l’auditoire –à quoi bon ?- mais d’essayer de comprendre. Parce que ce qui interroge le plus, finalement, dans ces paroles, c’est leur insupportable proximité.


Dominique Lurcel

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