theatre-contemporain.net artcena.fr

Accueil de « Tokyo notes »

Tokyo notes

mise en scène Xavier Lukomski

: Note d’intention

Je dois l’avouer, j’ai longtemps regardé le Japon du regard obtus de celui qui ne veut rien comprendre. Par paresse peut-être ou par peur sans doute, j’étais persuadé que la culture japonaise était trop loin de mes fantasmatiques racines d’Europe centrale et encore plus de mon présent belge. Le Japon était trop à l’extrême de l’Orient, une île, comme un continent, trop démesurément fermée sur elle-même, trop obscurément îlienne et asiatique.


J’avais le sentiment de ne rien comprendre à Ozu et j’avais l’ignorance de trouver Kurosawa, trop « chargé ». Je lisais Kawabata et je m’expliquais le plaisir que j’en avais par le fait qu’il était à l’évidence le plus occidentalisé des auteurs japonais…


C’est la lecture du petit livre d’un grand voyageur suisse qui m’a insidieusement fait changer d’avis et m’a ouvert les yeux et des portes.
Ce livre s’appelle : Chronique japonaise. Une sorte de carnet de voyage regroupant les notes écrites lors d’un long séjour que Nicolas Bouvier avait fait au Japon à la fin des années soixante. Sans aucune complaisance et même parfois avec de l’énervement, Bouvier y casse tous les préjugés sur ce pays et notamment celui qui semble le plus solide d’entre eux, la « fermeture d’esprit des Japonais ». Il décrit tout l’inverse, un Japon formidablement ouvert et curieux des autres cultures, parfois même agaçant de naïveté vis-à-vis d’un Occident qui, lors des premiers contacts, en veut essentiellement à son argent. Il décrit par exemple le formidable engouement que suscitent les premiers missionnaires portugais et l’obligation pour l’Empire d’interdire les conversions au christianisme, tant elles sont immédiatement nombreuses.


Alors, j’ai revu les films d’Ozu et je leur ai trouvé un air très tchékhovien, j’ai vu les tout premiers films de Kurosawa et j’ai été épaté par leur ironie, leur modernité, la force et la subtilité de leur construction. Et j’ai lu Oriza Hirata et la découverte fut radicale et importante.


Si Tokyo Notes parle très précisément de ce que se disent les hommes entre eux et de comment ils se le disent, cela signifie qu’il pose la question de ce qui les réunit ou de ce qui les sépare. Et la grande force et l’extrême originalité de ce texte est de poser la question doublement. D’abord la question de ce que se disent les personnages entre eux, mais plus loin, à l’autre face de son écriture si simple et si riche, la question de ce que se disent les hommes et comment ils se le disent… par le théâtre.


Par la forme de son écriture, Hirata rejoint intimement Tchékhov dans cette manière de « placer » et de « cacher » la question dans la réponse, cette manière de poser la question de la représentation au coeur d’une proposition de représentation, aussi radicale que peu démonstrative. Et, au final, ce qui les unit par-dessus tout, c’est cette manière de travailler cet air et cet art du « presque rien », cet air de ne pas vraiment y toucher et de toujours toucher à l’essentiel.


C’est peu de dire qu’à la lecture, il déroute par l’extrême simplicité de son écriture, mais aussi par l’extrême complexité d’une construction polyphonique qui a justement de quoi dérouter. Mais confrontée à des acteurs, cette écriture devient à la fois limpide et plus énigmatique encore. Il semble que l’on y parle de rien et pourtant on y parle de tout. Et si tous les sujets abordés sont vitaux : la guerre, l’art, l’argent et l’amour, la mort… on en parle avec une telle désinvolture que cela confine presque à une sorte de « désintéressement », de « détachement ». D’aucuns pourraient parler même d’une attitude zen de « l’évidemment », mais un zen bien au-delà de tout cliché. Un zen qui, à aucun moment et en aucune manière, ne se refuse à l’émotion, quelle qu’elle soit, celle du rire ou celle des larmes. Car on rit beaucoup à la vision de Tokyo Notes et l’émotion nous surprend parfois si profondément, au simple détour d’un silence.


C’est à l’intérieur de ce credo fondamental d’Hirata que j’ai voulu aborder son théâtre. Le regarder, avec respect, intérêt et recul, pour le voir, vraiment, comme on comprend l’image d’une mosaïque, en reculant de quelques pas, prenant soudain conscience que nous n’avions rien vu, parce que notre nez touchait le sol.

imprimer en PDF - Télécharger en PDF

Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné, Je me connecte Voir un exemple Je m'abonne

Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.