: Note d’intention
Par Gérard Watkins
C’est un rendez vous avec la plus mythique
des écritures de Shakespeare. La traversée
fulgurante d’un monde dont le pourrissement
a commencé bien avant le meurtre du père
d’Hamlet. Celle des guerres absurdes me -
nées par des orgueils démesurés, celle des
amours violents et possessifs, celle de la
place assignée à la femme dans l’Histoire.
L’objectif est de jouir ensemble de cette magnifique leçon d’anti-héroïsme menée par la
plus belle tribu de losers jamais inventée.
Pour la traduction, je n’ai lu que les textes anglais, et j’ai eu la joie de plonger dans l’histoire des représentations d’ Hamlet. J’ai pu
développer et inscrire mes propres interrogations : remplacer le pentamètre par une forme
de musicalité et d’invitation à la scansion, par
des coupes, concentrer le texte sur son aspect familial plutôt que militaire.
Il y a chaque année quelque part dans le monde une femme qui joue Hamlet. J’ai tenu à renouer avec cette tradition qu’ Hamlet soit jouée par une immense actrice. Ce sera ma cinquième collaboration avec Anne Alvaro, une sorte de célébration de notre amour du travail. Au-delà de l’empowerment nécessaire, je vois une volonté de déjouer la transmission de la vendetta, de la trop persistante violence masculine, pour faire machine avant vers l’empathie, le sensible, la pensée et le poétique. Pourtant, le fantôme du père est tenace.
Errant dans son purgatoire pour n’avoir pas eu la possibilité d’expier ses crimes atroces, il gâchera à jamais pour le prince toute possibilité d’un amour heureux. Aucun parcours ne raconte mieux l’iniquité et l’injustice faite aux femmes que celui d’Ophélie. À l’opposé de son frère Laertes à qui sont proposées la liberté et la jouissance, Ophélie n’a comme horizon que l’enfermement et le dogme de la peur d’être abusée sexuellement.
La magnifique invention de Shakespeare va
au-delà d’un règlement de compte. Il dirige
son ensemble scénique vers la plus parfaite
symbiose des « amants, fous et poètes ». Mes
récentes recherches sur l’hystérie pour Ysteria
m’ont ouvert des portes empathiques et
compréhensives sur le mystère humain et les
degrés d’expressions artistiques véhiculées
par la folie. Les essais de Freud, qui a toujours cherché dans les œuvres dramatiques,
de Shakespeare à Ibsen, les traces de l’invention de la psychanalyse, sont évidemment
une source d’inspiration . On peut y fouiller
autant qu’on veut, on n’y trouvera aucune réponse. Car c’est précisément le théâtre, dans
tout son art, dans toute sa mise en abîme,
présent derrière chaque syllabe, qui nous embarquera, de signes en signes, vers le
sommet d’un pur au-delà poétique. Et on se
prendra de plein fouet la voracité de la représentation de la folie par Hamlet. On le sait
amoureux de l’art dramatique comme on le
sait enclin à la mélancolie.
L’extension de la
folie vers la poésie est, chez Shakespeare,
naturelle : de la poésie à l’art d’aimer pour
mieux basculer dans l’art d’être fou. Troubles
d’oppositions comportementales, hallucinations visuelles et auditives, mélancolies psychédéliques seront au rendez-vous. Ophélie
nous enterrera tous avec une leçon d’art brut
dont on ne se relèvera pas. Ce n’est pas juste
Hamlet qui est subversif et insolent.
C’est
Shakespeare tout entier se cachant comme
d’habitude derrière un léger paravent, qu’il
suffit de déplacer. Parce qu’au théâtre, on y
déplace des paravents.
- Gérard Watkins
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