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Thank you for coming : Attendance

Faye Driscoll ( Chorégraphie )


: Entretien avec Faye Driscoll

Propos recueillis et traduits par Marion Siéfert pour le Festival d'Automne à Paris

Thank You For Coming: Attendance est le premier volet d’une série de plusieurs pièces chorégraphiques. Pourquoi faire une série ?


Faye Driscoll : Je m’intéresse à la façon dont les êtres humains sont les co-créateurs d’un monde, qu’ils le veuillent ou non. À travers cette série, je veux créer des performances dans lesquelles les performers et le public peuvent sentir cet aspect-là. Pour moi, la question de la “co-création” est inhérente à la performance elle-même, jusque dans sa structure la plus traditionnelle. Dans ces pièces, je crois que je souligne simplement un sentiment qui est déjà contenu dans la forme.


Le format de la série permet de créer une sorte de fidélité avec les spectateurs. Est-ce un aspect qui vous intéresse ?


Faye Driscoll : Oui. L’acte de faire des performances avec un groupe de personnes pendant plusieurs années crée une sorte de microsociété temporaire. Nous passons de nombreux mois ensemble et traversons des processus de travail très exigeants, au cours desquels chacun est amené à se transformer. Une grande part de cette expérience n’est pas visible pendant la représentation, mais c’est quelque chose que je ressens de manière extrêmement puissante. C’est peut-être l’aspect le plus important de mon travail. Je voulais donc créer des œuvres qui couvrent une expérience au long cours et à laquelle les spectateurs, les programmateurs et les personnes qui nous financent puissent participer.


Comment définiriez-vous la relation que vous souhaitez créer avec le public ?


Faye Driscoll : Dans Attendance, j’utilise toutes les attentes qui sont déjà présentes quand on va au théâtre – un siège, un point de vue, un cadre, une scène. Puis, je les subvertis de manière subtile, afin de créer chez les spectateurs la conscience que la pièce résulte d’un processus de co-création. Je voudrais créer à la fois un état de jeu et une pièce où les niveaux de perception sont extrêmement complexes.


Comment travaillez-vous avec les danseurs, afin qu’ils aient cette grande disponibilité avec les spectateurs ?


Faye Driscoll : C’est très délicat. C’est une sorte d’état, une manière d’être que nous ne pouvons pas créer sans l’aide d’un public “test”. Nous nous sommes aperçus qu’il était impossible de concevoir cet état seuls. Nous avons eu de nombreux retours. Parfois, les spectateurs trouvaient que nous étions trop sympathiques – ce qui crée une sorte d’aliénation – ou bien trop agressifs et envahissants. Nous avons donc essayé de trouver le bon dosage, le juste milieu : c’est une invitation directe, sans peur et sans timidité. C’est quelque chose que nous devons travailler chaque fois que nous faisons la pièce, parce que ce n’est pas ainsi qu’on se comporte habituellement ensociété. C’est une manière d’être qui doit être entraînée.


Cela arrive-t-il que certains spectateurs réagissent d’une manière excessive, qui dépasse les limites que vous vous étiez fixés ? Définiriez-vous la relation au public comme une relation de pouvoir ?


Faye Driscoll : Cette pièce propose de vivre une expérience de groupe, mais elle est très construite et ses directions sont claires. Il y a du pouvoir, mais il y a aussi de la dépendance, une invitation, des options. Il est arrivé que certains spectateurs aient fait des choses un peu en dehors des clous. Mais cela reste toujours une question très intéressante pour moi : jusqu’où ça pourrait aller ? Pour cette pièce, je vois les choses ainsi : le public est invité à une fête dans notre maison. C’est donc notre responsabilité d’être des hôtes et de donner le ton. Non l’inverse. Mais bien sûr, chacun arrive à la fête au moment où il veut.


Votre travail oscille toujours entre la distance et l’engagement, l’image et l’expérience, rester à l’extérieur et prendre part…


Faye Driscoll : Je crois que je cherche à créer des performances où l’on peut sentir la complexité des perceptions qui s’y déploient. C’est une autre façon de parler de l’image et de l’engagement, de la distance et de l’expérience. Sentir que l’on est en train de regarder quelque chose… Dans la pièce, le public se fait face. Donc, pendant qu’ils regardent la performance, les spectateurs voient également les personnes assises de l’autre côté, qui regardent la représentation, et peuvent observer comment ils la vivent.


Comment travaillez-vous avec les danseurs ?


Faye Driscoll : J’ai souvent l’impression d’effleurer une idée qui me démange. Avec les performers, nous essayons de la réaliser à travers une alchimie de pratiques, qui sont souvent très longues et intenses. Pour la première partie d’Attendance, j’ai cherché à créer des structures à la fois consistantes et instables. J’ai pris des photos d’immeubles en ruines, qui ont été démolis, des tas de vaisselle sale abandonnée dans l’évier, des gens entassés dans le métro, serrés les uns contre les autres, tout en essayant de ne pas se toucher. J’ai guidé les performers à travers de longues phases d’improvisation, où nous avons essayé de créer un corps collectif, fait de leurs corps individuels, une complexité instable. Notre travail rassemble des niveaux très différents : la forme, la performativité, les images, l’intention, la voix.


Vous avez écrit vouloir libérer le ça, l’érotisme et le fantastique. Comment travaillez-vous spécifiquement avec les danseurs, afin de faire surgir un imaginaire collectif et de créer chez eux cette curiosité, cette envie de dépasser leurs propres limites ?


Faye Driscoll : C’est quelque chose que nous devons trouver ensemble, pour chaque pièce. Je ne pense pas avoir une méthode qui me permette d’y parvenir à coup sûr, mais je sais que c’est quelque chose qui demande beaucoup de travail. Le processus est différent avec chaque personne. Parfois je les pousse, d’autres fois je suis difficile, je pose des questions, je demande certaines choses. C’est très exigeant, pour chacun de nous.


Votre travail questionne l’optimisme et le pessimisme, et exprime tout à la fois un manque d’imaginaire collectif, un déficit utopique et le désir individuel de devenir quelqu’un, de réussir…


Faye Driscoll : C’est très juste. Je crois que c’était au départ un sentiment très personnel : l’impression qu’il manque une signification collective, dans une culture capitaliste très morcelée et isolée. Je me suis aperçue que la seule chose qui semble faire sens actuellement, c’est de construire secrètement son ego. Je me demande donc s’il y a d’autres manières d’être ? Je n’ai pas de réponse, mais je pose simplement la question. Il y avait une chose qui était très intéressante pour moi dans cette pièce, Attendance : certaines personnes ont dit avoir ressenti beaucoup de joie pendant la pièce, ce qui était très inattendu pour moi. D’habitude, je pense que c’est stupide d’être joyeux. Mais en fait, je crois que c’est quelque chose de courageux et de très difficile. Je pense que c’est beaucoup plus difficile de creuser cette joie que d’être ironique, malin ou tragique.


Dans votre travail, la notion même d’identité devient quelque chose de mouvant et d’insaisissable, pris dans un perpétuel jeu de métamorphoses. Quelles stratégies utilisez-vous pour brouiller les identités et leur faire perdre de leur stabilité ?


Faye Driscoll : C’est précisément ce glissement qui m’intéresse. Ma stratégie est de travailler avec quelque chose qui est familier et identifiable, que l’on peut facilement reconnaître. Puis, j’essaie de le modifier de manière subtile et parfois même extrême, afin de provoquer une perte de repères, ce sentiment de “ Je croyais être là, mais maintenant je suis ici”. Qui devrais-je être ? Je cherche à désorienter les perceptions, à les séparer légèrement les unes des autres, mais aussi à les unifier parfois. Je n’essaie jamais de provoquer un rire, je suis plutôt sérieuse, mais je pense qu’il y a beaucoup d’humour à pousser les choses à l’extrême, à les mener vers l’absurde et le ridicule, vers le point d’où elles viennent. Des choses en moi que je veux cacher deviennent alors très visibles, ce qui crée un “HA !”, une identification ou un rire. Il y a quelque chose dans cette ouverture qui se produit. Et c’est là que chacun a l’opportunité de changer et de glisser vers autre chose.

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