theatre-contemporain.net artcena.fr

Accueil de « Tercer Cuerpo »

Tercer Cuerpo

mise en scène Claudio Tolcachir

: Entretien avec Claudio Tolcachir

Propos recueillis et traduits par Christilla Vasserot pour le Festival d’Automne à Paris 2011

Que signifie pour vous le fait de travailler dans un espace comme Timbre 4, qui est à la fois une maison, une école et un théâtre ?


Timbre 4, c’est le nid. C’est le bouillon de culture idéal pour mener à bien l’expérience. C’est cet espace qui provoque et qui protège en même temps. Mais Timbre 4, par-dessus tout, ce sont des gens, des personnes différentes qui déversent là leur désir et qui lui donnent son élan. C’est une invitation permanente à se jeter dans l’abîme, en tenant par la main quelqu’un qui est probablement dans la même situation.


Dans Tercer cuerpo, l’espace scénique représente aussi bien les bureaux d’une administration qu’une maison, un bar, un restaurant ou un cabinet médical ; la scène réunit plusieurs lieux en un seul. Est-ce que ce sont les particularités de l’espace Timbre 4 qui déterminent cette esthétique ?


Quand j’écris une pièce, je n’ai pas la moindre idée de la façon dont je vais la monter. Je me force même à ne pas penser aux éventuelles solutions de mise en scène, afin de pouvoir écrire en toute liberté, sans limites. Ensuite, j’essaie de trouver la façon la plus appropriée pour raconter l’histoire que je veux raconter. Dans le cas de Tercer cuerpo, je trouvais le texte très cinématographique, à cause de la simultanéité des espaces et des temps. La logique aurait voulu que je joue avec différents espaces scéniques en m’appuyant sur des effets de lumière et de son pour bien différencier les scènes. Mais, forcément, c’était une solution quelque peu forcée, qui manquait de créativité. Alors nous avons décidé de prendre la chose à rebours, d’enfermer la pièce dans un espace plus réduit et de nous passer des effets techniques : rien que le jeu des acteurs et le texte. J’ai une foi absolue dans le pouvoir de la relation entre l’acteur et le spectateur. Les grands acteurs peuvent convier le spectateur à n’importe quel voyage théâtral, ils l’invitent à construire dans sa tête les espaces les plus merveilleux qu’on pourra jamais construire.


Quand la pièce est jouée en dehors de Timbre 4, adaptez-vous la scénographie ? Cherchez-vous toujours à recréer cette proximité entre la scène et le public qui caractérise Tercer cuerpo ?


La proximité des gens est toujours profitable étant donné le type de théâtre que nous pratiquons. Nous cherchons toujours à réduire la distance avec les spectateurs. Mais il est aussi très excitant de changer de maison et de mettre nos spectacles à l’épreuve de nouveaux espaces.


Qu’avez-vous cherché à représenter de la société argentine dans cette pièce ?


Je n’ai jamais cherché, dans aucun de mes spectacles, à représenter quoi que ce soit de qui que ce soit. Je raconte une histoire qui m’émeut et qui transperce mon âme de part en part. Bien évidemment, ces histoires naissent de l’air que je respire. Mais bien heureusement, les lectures postérieures appartiennent au spectateur.


Vos spectacles suggèrent plus qu’ils ne disent clairement les choses. Dans Tercer cuerpo, notamment, chaque tentative d’explication tourne court. ¿Était-ce là votre intention première au moment d’écrire la pièce ?


Tercer cuerpo garde le mystère sur la fin de l’histoire, c’est un point essentiel de la pièce. L’une des raisons est d’ordre dramaturgique : il s’agit d’histoires simples racontées de façon fragmentée. L’autre raison tient au fait qu’une part essentielle de ces personnages est leur mensonge, la douleur qu’ils renferment et qui leur fait honte. Dévoiler peu à peu ces mystères fait partie du jeu, tant pour les personnages que pour le spectateur.


Est-ce là ce qui permet à vos personnages d’être entendus et compris ailleurs qu’en Argentine ?


Ce sont des personnages urbains, qui passent la moitié de leur vie à traîner leurs frustrations, mais ils éprouvent également un immense désir de se sentir vivants. Je crois que cet état ne connaît pas de frontières, il est aujourd’hui le propre du genre humain.


Pouvez-vous nous en dire plus sur ce titre : Tercer cuerpo ?


Tercer cuerpo peut être compris dans un sens littéral, car c’est ainsi qu’est nommé le lieu où ils travaillent : le troisième bloc à l’intérieur d’un bâtiment rempli de bureaux. Mais l’expression renvoie aussi à l’image d’un corps manquant : objet de désir, incomplétude. Quant au sous-titre de la pièce, L’histoire d’une tentative absurde, il rend compte de ce que ces personnages ont de positif : coûte que coûte ils essaient, ils échouent et ils essayent à nouveau.


Quelle importance accordez-vous à l’humour dans votre écriture ?


Je crois que l’humour est un instrument salutaire afin de pouvoir creuser tout au fond de la douleur. Quand j’écris, j’essaie de placer ces personnages, qui vivent une tragédie, dans des situations inconfortables, qui nous empêchent de ressentir de la compassion à leur égard. Et pourtant, nous percevons à quel point ce qu’ils vivent est pathétique. Ce fil ténu qui fait que l’on rit en serrant les dents de pitié, c’est ce que j’apprécie le plus en tant que spectateur.


Vous avez suivi une formation de comédien. Que vous a-t-elle apporté ? Jouez-vous encore aujourd’hui ?


J’ai principalement été un comédien et, aujourd’hui encore, jouer est pour moi un plaisir et un besoin. En outre, la possibilité d’interagir avec différents metteurs en scène, au cours d’expériences bonnes ou mauvaises, et la recherche permanente que l’on mène en tant qu’acteur, tout cela ouvre délicatement de nouvelles voies, qui peuvent être utiles à chaque comédien. Par ailleurs, en tant qu’auteur, j’ai l’impression de réaliser un long travail d’improvisation avec les personnages dans mon propre corps et dans mon esprit, pour ensuite les coucher sur le papier.


À quel moment et pour quelles raisons avez-vous décidé de passer à l’écriture et à la mise en scène ?


Dès l’instant où j’ai découvert le théâtre, j’en suis tombé amoureux. J’était tout petit à l’époque et j’ai ressenti le besoin de connaître tous les éléments qui composent ce monde merveilleux. Je suis passé par tous les lieux sur scène et en dehors de la scène. Mais j’en voulais toujours plus. Dans le fond, c’est toujours la même aventure : découvrir l’immensité de la création et les secrets techniques que le théâtre déploie à chaque nouveau projet. Et puis bien sûr, la création d’un monde, d’univers personnels est une expérience trop stimulante pour qu’on la laisse de côté.


Quels rapports entretenez-vous avec les autres dramaturges et metteurs en scène argentins ?


Tout au long de ma formation, j’ai été ébloui par de grands dramaturges : Armando Discépolo, Roberto Arlt, puis Griselda Gambaro, Roberto Cossa et, plus directement, Mauricio Kartun et Daniel Veronese. J’ai eu le privilège de connaître personnellement ces deux derniers et de partager avec eux des expériences de travail qui ont définitivement marqué ma façon de travailler.


Comment travaillez-vous, justement, au sein de votre compagnie ? À quel moment le processus d’écriture débute-t-il ? Quel est le degré d’intervention des comédiens dans l’écriture de vos pièces et dans vos mises en scène ?


Cela ne se passe jamais deux fois de la même façon et c’est très bien comme ça : il faut laisser la pièce exiger de nous la façon de travailler qui lui est nécessaire. Voilà pourquoi, à mon avis, il vaut mieux ne pas s’attacher bêtement à une technique unique et singulière. J’aime quand les acteurs construisent peu à peu, couche après couche, presque sans s’en rendre compte, en accumulant les pensées et les univers du personnage. Dans l’idéal, je ne montre jamais à un comédien comment il doit jouer, même si cela peut arriver, car cela l’aidera éventuellement à comprendre. Je crois qu’il est important d’accompagner l’acteur dans son jeu, en douceur, jusqu’à ce qu’il trouve l’univers du personnage. Il est essentiel de créer un espace d’expérimentation et d’erreur, et cela s’applique aussi à l’écriture du texte. Il faut envisager plusieurs options et, peu à peu, faire des choix, parvenir à une partition minutieuse qui encadrera le spectacle.


Quel lien y a-t-il entre Tercer cuerpo et les deux autres spectacles que vous avez créés : Le cas de la famille Coleman et El viento en un violín ?


Ils nous présentent tous trois des individus incomplets, hors du monde, qui ont une énorme envie de vivre mais qui ne sont pas armés pour la vie. C’est là que commencent toutes ces histoires. Ensuite, pour chacune de ces pièces, la forme est différente, qu’il s’agisse du mode de récit ou de l’utilisation de l’espace. J’aime explorer les différentes formes du récit théâtral, afin de mettre à l’épreuve les préjugés qui peuvent être les nôtres. Toutes ces pièces, enfin, avancent le long de cette lisière pathétique entre la douleur et l’humour.

imprimer en PDF - Télécharger en PDF

Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné, Je me connecte Voir un exemple Je m'abonne

Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.