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: Note d’intention

par Peter Brook

La première fois que j’ai monté La Tempête, il y a bien des années, à Stratford, le résultat fut loin d’être satisfaisant. Je sentais que la pièce me glissait entre les doigts.


La difficulté, c’était de faire apparaître d’une manière convaincante le monde surnaturel. J’avais essayé d’utiliser tous les trucs possibles. Mais tout de suite j’ai compris que je m’engageais sur le mauvais chemin.


Puis, plus tard en 1968, à Paris, je décidais de m’approcher à nouveau de cette pièce mais cette fois avec des acteurs venant de pays différents. Je trouvais intéressant de prendre des scènes de la pièce comme base et de voir comment nous pourrions tous ensemble la redécouvrir. Le résultat dépassa de loin notre attente.


A l’époque de Shakespeare, dans le monde élisabéthain, les liens avec la nature n’avaient pas encore été rompus, les croyances anciennes étaient toujours présentes et le sens du merveilleux très vivant. Les acteurs occidentaux ont en eux toutes les qualités nécessaires pour explorer dans les pièces de Shakespeare ce qui concerne la colère, le pouvoir, la sexualité, l’introspection.


Mais quand il s’agit de toucher au monde invisible, la difficulté émerge et tout se bloque. Dans les cultures dites « traditionnelles » les images de dieux, de magiciens, de sorcières, sont naturelles. Pour interpréter un personnage qui n’est pas réel, l’acteur occidental doit faire de vraies acrobaties. Mais pour l’acteur venant d’un pays où les cérémonies et rituels sont encore vivants, le chemin qui mène à l’invisible est la plupart du temps naturel.


La Tempête est une énigme. C’est un conte où rien ne peut être pris à la lettre, parce que si l’on reste à la surface de la pièce sa qualité cachée nous échappe complètement.


Pour les acteurs aussi bien que pour le public, c’est une pièce qui se révèle en la jouant. Comme la musique. Il y a un mot qui traverse la pièce, « Libre ». Comme toujours avec Shakespeare son sens n’est jamais révélé, il est suggéré. Et chaque écho en amplifie et nourrit le son. Caliban veut sa liberté, Ariel veut finir sa tâche et retrouver son monde invisible, ils veulent tous deux être libres, mais il ne s’agit pas de la même liberté.


Pour Prospero, la liberté n’a pas de définition. Il la cherche pendant toute la pièce. Le jeune Prospero toujours plongé dans ses livres, à la recherche de l’occulte, était prisonnier de ses rêves. Arrivé sur l’île, on pourrait penser qu’il va se libérer car il acquiert des immenses pouvoirs magiques, mais un ma- gicien qui joue avec des pouvoirs interdits ne peut pas trouver une vraie liberté. Il n’est pas bon pour un être humain d’assombrir le soleil de midi et de faire sortir les morts de leurs tombeaux. Au début de la pièce, il utilise tous ses pouvoirs pour déclencher une tempête, si violente qu’il peut emmener le bateau qui transporte son frère, qui a volé son royaume, et son ami le Roi de Naples, qui l’a aidé dans ce complot, jusqu’aux rivages de l’île. La vengeance le dévore, il n’a pas encore maitrisé sa vraie nature, sa tempête intérieure.


Au milieu de la pièce, il doit faire face à un problème inattendu qui pourrait mettre fin à son exil. Deux ivrognes et un esclave mettent sa vie en danger. Il échappe au complot avec ruse et humour, mais en même temps il comprend qu’il doit abandonner sa magie, ses livres, casser son bâton, tout ce qu’il appelle son « art », et au-dessus de tout, il doit renoncer à se venger.


Il s’ouvre et voit qu’il ne pourra pas trouver sa liberté tout seul. Il ne peut plus rester sur son île, et il doit la rendre à son esclave Caliban auquel il l’a prise. Il doit renvoyer dans les airs son cher esprit Ariel, il doit pardonner les crimes de son frère, et surtout marier sa fille chérie Miranda au fils de son pire ennemi, le Roi de Naples. Et finalement demander sa liberté à qui ?


A nous tous.


  • Peter Brook
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