: Entretien avec Laurent Pelly
Vous avez, dans les années 90, fait découvrir Bennett au public français. Qu’est-ce qui vous a séduit dans son écriture ?
Laurent Pelly : Avant toute chose, le mystère. Bien que très
accessibles, ces soliloques renferment tous un secret, qui fait du
spectateur un voyeur intelligent : tout en pénétrant, comme par
effraction, dans le labyrinthe quotidien des personnages, il est amené
à déduire ce qui se cache derrière l’histoire racontée. Il y a une très
anglaise jubilation de détective à devoir trouver ce qui se dit
réellement à travers les mots. Parce qu’au fur et à mesure qu’avancent
ces histoires, on découvre de nouvelles strates, que le point de départ
ne laissait pas supposer.
Du coup, ce sont,pour des comédiennes,des partitions exceptionnelles
qui amènent à travailler sur la naïveté: il y a de la bêtise chez ces êtres
dont on se demande en même temps si, inconsciemment ou
sciemment, ils ne cachent pas leur propre vérité.
Et puis, il y a l’humour. Un humour anglais acerbe, méchant, assez
saignant (Bennett n’est pas fils de boucher pour rien!) mais qui ne
manque pas pour autant de tendresse.Quand une ménagère de 50 ans
obsédée de jardinage découvre que son époux s’adonne à des soirées
assez spéciales, ça met en lumière – avec beaucoup d’émotion – le
malheur et la solitude. Rire, c’est aussi mettre à distance, comme dans
l’histoire terrible de Peggy, la «femme sans importance».
Des trois monologues que vous aviez montés en 93, vous n’avez justement conservé que celui-là…
Laurent Pelly : Parce qu’il est le plus emblématique, de par son titre
même. Les deux autres, Nuits dans les jardins d’Espagne et Femme avec pédicure comportent un événement qui fait dérailler le quotidien. Là,
il n’y a rien, rien que le quotidien qui se détraque petit à petit suite à
une maladie mortelle, un quotidien affronté avec un rire forcé de bon
aloi. Ce monologue, le plus réaliste, est le plus glaçant. Les autres sont
plus des fantaisies, ils ont quelque chose de déjanté. Et puis,
Christine Brücher qui jouait Peggy en 93 – et avec qui j’ai retravaillé
depuis – et moi-même avions été marqués par ce personnage dont
nous reparlions régulièrement.
J’ai souhaité que, reprenant le rôle quinze ans après, elle puisse
l’aborder avec une autre maturité. Parce qu’il y a, dans ce texte,
quelque chose d’effroyablement triste et tragique, quelque chose qui
dépasse le temps, qui vaut pour tous les jours et pour tous les temps.
Qu’est-ce qui relie ces trois femmes ?
Laurent Pelly : La souffrance, le non -dit et la solitude. En un mot, la difficulté de vivre.Mais aussi leur profonde humanité.
Quels étaient les enjeux initiaux de votre travail de metteur en scène ?
Laurent Pelly : De rester le plus simple, le plus naïf, le plus « parlé » possible. Eviter de produire quelque chose de fabriqué, faire en sorte que ça ressemble à la vie. L’autre enjeu, c’était de trouver une scénographie qui serve la narration sans être illustrative, qui dissocie la parole de l’action parce que, dans ces histoires, la parole n’est pas l’action: l’action, c’est le quotidien.Comme d’autre part ces soliloques, au départ écrits pour la télé, étaient interprétés en plan fixe, cadrés pleine face, il a fallu inventer une théâtralité.Avec la décoratrice Chantal Thomas,nous voulions une scénographie mouvante:nous avons pensé à un reportage-documentaire, un peu à la manière de Strip-tease, où la caméra sonderait à la fois ces morceaux de vie et permettrait de suivre ces personnages dans leur quotidien. On a donc travaillé sur le champ/contrechamp, le travelling, le gros plan en n’utilisant que les moyens artisanaux du théâtre.Chaque séquence est ainsi bâtie sur cinq ou six images mobiles qui tentent de donner au spectateur le sentiment de suivre, de manière presque hypnotique et comme par effraction, le quotidiende ces femmes tout en restant dans un espace étriqué, l’espace de leur vie.
Quelles sont les incidences de ces choix sur le jeu des comédiennes?
Laurent Pelly : De pouvoir ainsi mieux « décoller » du texte. Pour donner le sentiment d’être dans une quotidienneté banale et ordinaire, il ne fallait pas qu’elles parlent statiquement au spectateur. Ces monologues ne sont pas des monologues intérieurs. Il y a un interlocuteur – caméra, confident?…–mais un interlocuteur à qui elles ne disent pas tout, à qui elles ne confient que des demi-vérités. Au fond, ce sont des personnages qu’on peut rencontrer tous les jours, mais on est ces personnages aussi. Ne se ment-on pas à soi-même, surtout quand, comme elles, on le fait par omission?
De quoi rêviez-vous quand vous avez commencé à travailler sur ce spectacle ?
Laurent Pelly : D’émotion. D’émotions plus que d’histoires. J’aimerais que, tout en riant de ces récits, ça fasse froid dans le dos, que ça donne même envie de pleurer.
Propos recueillis par Jean-Louis Pélissou
26 janvier 2009
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