theatre-contemporain.net artcena.fr

Accueil de « Spécimens humains avec monstres »

Spécimens humains avec monstres

+ d'infos sur le texte de Alice Zeniter
mise en scène Urszula Mikos

: Entretien avec Urszula Mikos

Qu’est-ce qui vous a donné envie de monter cette pièce ?


U.M. : La pièce d’Alice Zeniter nous parle de la guerre, ce qui n’est pas nouveau en soi, mais surprenant pour une jeune auteure qui ne l’a pas connue. La guerre ici apparaît comme un prétexte pour toucher quelque chose de plus universel. La mise en scène de l’armée est représentative d’un phénomène essentiel : la volonté d’appartenir à un groupe, à une communauté, parfois pour mieux abandonner sa responsabilité d’individu. Ce qui est omniprésent dans cette pièce, c’est cette glorification de l’uniformisation.
Un autre élément intéressant est le rapport aux médias. A une époque où nous sommes en permanence submergés d’informations, paradoxalement, nous comprenons de moins en moins ce monde dans lequel nous vivons. C’est un peu la même chose dans cette pièce. Plus on plonge dans l’univers de la pièce, plus on a l’impression d’être dans un monde fantasmé, fictif, étrange, éphémère…
Le décalage entre la vie réelle, parfois prosaïque et dure, et un monde « imagé », virtuel, ne peut nous amener que vers la frustration et la perte de contrôle de soi ou vers la somnolence et la passivité.
Alors que le quotidien se durcit, « les écrans » se colorent, nous saturent de jeux, les journaux se remplissent d’articles hagiographiques, de personnalités modèles, de philosophie vulgarisée… Ces filtres contribuent à dissoudre notre conscience dans des détails commerciaux, nous ventant modes et tendances, sorte de drogues à notre portée pour nous isoler de plus en plus et nous ôter toute possibilité d’agir. Si l’art pouvait apparaître comme une échappatoire possible, voire comme subversif, il s’est laissé progressivement sacrifié sur l’autel de la rentabilité, quand il n’est pas l’apanage d’une élite complaisante ou d’intellectuels bourgeois faussement bohème.
Depuis très longtemps, je m’intéresse aux auteurs vivants parce qu’ils sont en phase avec l’actualité. Leur langage, leurs personnages, l’éclatement de la structure théâtrale, de la forme traduisent notre rapport au monde chaotique. Mais ce qui m’intéresse avant tout dans leur texte, c’est cette force que l’on retrouve dans les textes classiques, cette capacité à placer la nature humaine au centre du propos, à universaliser.


Qu’est-ce qui vous interpelle spontanément dans l’univers d’Alice Zeniter ?


U.M. : À la lecture de ce texte, j’ai été frappée par le sentiment que les personnages s’apparentaient plus à des figures, qu’à des êtres de chair et d’os. La femme du général Pol, par exemple, est décrite comme l’archétype de la femme parfaite. Chaque minute de sa vie est réglée, calculée, ciselée. Elle sculpte sa vie comme une œuvre d’art. L’apparence a pris le pas sur l’être, l’individu. Il semble alors inévitable que quelque chose déraille.
Tous les personnages sont obsédés par l’idée d’apparaître comme des héros à la caméra. Mais ça ne les empêche pas, hors champ, de commettre des actes monstrueux. L’important est de sauver les apparences.


Quelles pistes de mise en scène pouvez-vous imaginer à ce stade de votre travail ?


U.M. : Lors des représentations, je voudrais insister sur le vertige et le mélange des langages, les univers qui se côtoient. J’aimerais aussi souligner la superficialité du spectaculaire produit par les images et médias, et lui opposer la violence d’émotions qui ne parviennent pas à se former ou se manifester.
Pour y parvenir, la mise en scène jouera de plusieurs moments volontairement séducteurs... cherchant à faire rêver le spectateur à la manière des jeux télévisés omniprésents aujourd’hui... une séduction de surface, prenant le spectateur au piège de goûts formés et flattés par les médias... Une toute-puissance qui se lit jusqu’à la récupération (assez récente) des grands événements politiques : les révoltes, les révolutions, les guerres qui semblent à présent programmées, elles sont à l’origine d’émissions spectaculaires, parfois savamment propagandistes.
Il me parait donc intéressant de placer l’univers de la pièce sur un plateau télé ou un lieu de tournage. Le spectateur séduit par le spectaculaire, par le vertige des sens, la puissance des paroles manipulatrices, par l’envie de communion pourra ainsi être projeté soudainement vers le vide et la nudité... Cette moderne catharsis le mettra face à ses propres envies : le plaisir facile du voyeurisme et de l’autosatisfaction - il n’existe ainsi rien de plus démoralisant qu’un théâtre fier de lui, qu’un public qui applaudit lorsqu’on vient de flatter ses tendances et par là de le tromper. Pensant à l’époque nazie, Bond écrivait que tout uniforme appelle la nudité... le plaisir trompeur appelle à des somnolences et à la dissolution de l’être, l’engagement fanatique nous évoque les stades et la nudité des cadavres.

imprimer en PDF - Télécharger en PDF

Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné, Je me connecte Voir un exemple Je m'abonne

Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.