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Crush

Juliette Roudet ( Conception )


: Note d'intention

Les gens sont parfois victimes d’incendie, comme les immeubles. Sous la tension produite par la vie dans notre monde complexe, les ressources internes en viennent à se consumer comme sous l’action des flammes, ne laissant qu’un vide immense à l’intérieur, même si l’enveloppe externe semble plus ou moins intacte.
H. J. Freudenberger, psychologue, à propos du syndrome d’épuisement professionnel.


De l’idée au plateau
A l’origine, j’ai entendu à la radio, un matin d’octobre 2009, une interview de Marie Pezé, psychanalyste et premier médecin à avoir ouvert une consultation « Souffrance et travail» en France en 1997. Pour elle, la souffrance au travail était le marqueur d’un climat social délétère instauré par des entreprises passées maîtres dans l’art -devenu classique- de mettre en place des organisations du travail extrêmement pathogènes tout en sollicitant les cellules médico-psychologiques d’urgence. Elles jouaient en quelque sorte aux pompiers pyromanes. Mais pour qui voulait bien entendre le propos dans son intégralité, la psychanalyste, elle-même victime du syndrome de burn-out, concluait l’émission en disant que ce climat social était aussi en partie dû à nos petites lâchetés quotidiennes, nos collusions et autres faiblesses éthiques quotidiennes.


Il n’en fallut pas plus pour susciter mon intérêt. Je décidai de lire Ils ne mourraient pas tous mais tous étaient frappés, le livre de Marie Pezé. J’ai été sidérée, bouleversée mais j’ai ri aussi -chose qui me paraissait pourtant inavouable étant donné la gravité du sujet. J’ai été frappée par ses propos sur la violence actuelle du monde du travail, sur l’anéantissement du sujet, sur les dérives quasi systématiques de l’ambition, de l’usage de l’autorité et du pouvoir dans le monde professionnel. Mais le stress et le harcèlement moral ne suffisaient pas à expliquer les situations de burn-out. Tous les individus, confrontés à des situations identiques, ne craquaient pas, ne se consumaient pas de l’intérieur.
Quels individus étaient touchés ? Toutes les catégories socioprofessionnelles, sans distinction, de la femme de ménage au cadre supérieur, en passant par l’aide-soignante, la DRH ou le croque-mort. Mais toutes ces personnes avaient un point commun : elles étaient généralement très dévouées à un système dont elles cherchaient en vain la reconnaissance. Le burn-out, n’était donc pas un simple problème d’épuisement professionnel parce qu’on travaille trop, ni même de harcèlement. Mais plutôt le problème de personnes prises en sandwich, entre deux feux. Je sentais que tout se jouait sur un fil. Le travail de recherche documentaire qui suivit multiplia les entrées possibles sur ce sujet, de la critique pure et simple du système libéral qui écrasait l’individu sur l’autel des profits financiers à l’interrogation des propres capacités de l’individu à résister, à ses fragilités intimes. Limiter la problématique à la seule condamnation d’un système de management risquait d’occulter ce qui nous intéressait avant tout : l’humain.
Pendant mes recherches, la presse se faisait l’écho du développement statistique du phénomène. Le burn-out touchait désormais 10% des actifs et apparaissait comme un syndrome postmoderne lié aux mutations de nos sociétés, à l’accélération du temps, à la soif de la rentabilité, aux tensions entre le dispositif technique et des humains déboussolés. En quelque sorte, le prix à payer de l’individu pour les mutations en cours. Mais à mon niveau, au-delà de la statistique, j’essayais de me représenter l’intimité de chacun de ses hommes, de ses femmes, qui se consumaient de l’intérieur. Qu’est-ce qui pouvait conduire un homme, une femme à devenir le siège de ce mécanisme interne, de ce feu intérieur, qui les empêchait désormais de dormir, de manger, de vivre et dont certains ne trouvaient d’issue que dans ce qu’on appelle désormais le « suicide blanc » ?


Déhiérarchiser tous les moyens de s’exprimer et mettre en commun nos imaginaires
L’ambition de ce projet est d’abord située au niveau du travail de l’équipe de « Crush ». Comment cette équipe va-t-elle travailler ensemble pour la 1re fois ? C’est de ce questionnement que naît véritablement la matière du projet.
A la base, il y a un désir : construire un spectacle infiniment vivant. Et pour moi, ce qui est vivant ne préexiste pas au plateau. Tout naît du plateau. C’est ce qui m’excite. Il n’y a pas de scènes pensées avant le début des répétitions. Pas de découpage de scènes. Rien ne préexiste sinon cette matière documentaire de laquelle je me suis nourrie pendant des mois et des mois et sur laquelle j’ai échangé avec toute l’équipe. Si l’orientation du projet a pu évoluer avec chacune des rencontres que j’ai faites, la création proprement dite a commencé le 1er jour en studio de répétition, le 9 septembre 2013.
Il n’y avait pas d’histoire qui préexistait à l’entrée en studio. Par contre, pour faire naître les propositions du collectif, nous avons convenu d’un nœud fictionnel : « Tout se passe dans une entreprise de bâtiment nommée Sky Building. Une équipe est chargée de la construction d’un bâtiment. Pendant la construction survient un problème technique qui va occasionner des bouleversements profonds chez certains membres de l’équipe. »
Pour faire émerger des propositions fortes à partir de cette base fictionnelle, mon envie particulière pour ce projet était d’amener chaque membre de l’équipe là où il n’a pas le réflexe d’aller. Afin de « déhiérarchiser » tous les outils et moyens de s’exprimer, et qu’ils puissent circuler librement entre nous tous sur le plateau.
Les ingrédients sont donc simples :
- une comédienne-danseuse et deux musiciens au plateau
- un nœud fictionnel simple
- deux années de recherche documentaire sur le phénomène du Burn-out.
La recette est plus complexe mais passionnante : créer, à partir de ces ingrédients et à l’aide de nos différents outils scéniques (la parole, la musique, la force du geste) et de la puissance de nos imaginaires la matière d’un spectacle dense et fort.
Le chantier est donc ouvert : celui de Sky Building comme celui du spectacle, lui aussi en cours de construction. Il m’est difficile donc d’en dire plus aujourd’hui. Sinon qu’il s’agit d’un tout premier spectacle et que plutôt que d’en parler, je préfère le construire.

Juliette Roudet

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