: Intention
par Julie Bertin, Jade Herbulot
- L’expression “roman national” est ambivalente : visage vrai, unique, du passé de la France, mais simultanément objet littéraire faisant appel au rêve d’une multiplicité d’imaginaires. (Suzanne Citron, Le mythe national, éditions de l’atelier, 2019.)
Après avoir achevé notre tétralogie Europe, mon amour à l’été 2017, nous avons décidé de nous
consacrer à l’histoire contemporaine française, et, plus précisément, aux institutions de la Vème
République, aujourd’hui fortement remises en cause par divers mouvements populaires (Nuit Debout, les
Gilets Jaunes...), et par la reconfiguration inédite de l’échiquier politique suite aux dernières
présidentielles.
Approuvée par l’Assemblée Nationale et le Sénat le 4 octobre 1958, la Vème République paraît, soixante
ans plus tard, comme à bout de souffle. Nombreux sont les ouvrages et les articles qui dénoncent un
étiolement, voire une véritable faillite du modèle démocratique et républicain qui régit nos institutions.
Lorsque certaines voix s’élèvent pour remettre en question la manière dont s’exerce le pouvoir aujourd’hui, elles sont accusées en retour de « rompre le pacte républicain », de dégrader, d’anéantir la démocratie. La question n’est sans doute pas d’établir qui a tort ou qui a raison, et il serait probablement dangereux d’y répondre en ces termes, de valider l’une ou l’autre position d’un point de vue moral. Il n’est pas non plus question de raconter que la politique n’est faite que de personnages cyniques, avides de pouvoir et que donc, elle ne sert à rien ! Bien au contraire.
En revanche, ce qui, pour nous, éveille l’attention, est le craquellement, çà et là, de l’idéal démocratique de notre République. Quelles forces l’ont ainsi ébranlé ?
Une découverte nous a récemment permis de préciser notre sujet : il y a, aujourd’hui encore, dans les sous-sols du Musée de l’Homme à Paris, 37 crânes de résistants algériens tués par l’Armée française durant la conquête coloniale. Véritables trophées de guerre, ces têtes ont fait l’objet de plusieurs pétitions réclamant qu’elles soient rendues au gouvernement algérien et qu’une sépulture leur soit enfin offerte. Cette demande est classée sans suite. Ces ossements oubliés sont, pour nous, révélateurs d’un angle mort dans la mémoire collective française. Il semble que l’un des grands défis de nos institutions en ce premier quart de XXIème siècle soit de considérer ce qui est encore un impensé de notre histoire coloniale. Sans cette prise de conscience, sans cette mise à jour du refoulé de l’histoire officielle, comment envisager un réel pacte républicain ? Car, il est évident que la nécessité de défendre l’idée d’une France “une et indivisible” se heurte désormais fortement, et parfois avec violence, à notre réalité politique et sociale.
- Aujourd’hui, l’identité nationale ne peut plus être à racine unique, sinon elle s’étiole et se raccourcit. (Edouard Glissant, Patrick Chamoiseau, Quand les murs tombent, Galaad, 2007. )
La République s’est créée une identité propre en façonnant, au fur et à mesure de son évolution, un récit charriant dans son sillage quantité de références historiques et politiques. Roman(s) national tentera de questionner le dessein idéologique qu’impliquent de telles représentations collectives. De quoi cette mémoire sélective de l’Etat peut-elle être le nom ? Quels sont les implicites de la légende républicaine ?
Le combat identitaire, la redéfinition de la nation comme entité culturelle et ethnique face à la peur du
“Grand remplacement”, la revendication des origines à travers le récit d’un histoire linéaire et partielle;
tout ceci tendrait à nous expliquer que l’identité française est menacée dans ses racines. Mais quelles
sont-elles, au juste, ses racines ?
Les manuels scolaires ont été, selon Suzanne Citron, historienne, témoins et relais à la fois, de la
“légende républicaine”. Elle explique brillamment comment la construction et le contenu de l’histoire de
France est un récit scolaire daté qui s’écrit comme tel depuis le XIXème siècle. La France apparaît
comme étant créée de toute éternité et trouvant sa légitimité a posteriori dans les conquêtes victorieuses
de ses grands chefs, incarnant successivement la figure de l’homme providentiel. On y célèbre les
avancées territoriales de la monarchie comme de la République. Les vaincus, les colonisés, les enfants
d’immigrés n’ont donc pas eu d’autre histoire que celles des ancêtres gaulois et du récit qui s’ensuit.
Aujourd’hui, nous pouvons, avec les outils artistiques qui sont les nôtres, questionner cet imaginaire
historique. Aussi travaillerons-nous à confronter les mythologies républicaines aux figures effacées de
notre histoire, hommes et femmes mis en sourdine pour privilégier un roman national univoque. De cette
manière, nous convoquerons d’autres voix et d’autres visages pour faire entendre la pluralité des récits
qui tissent nos mémoires collectives et individuelles.
Un système de croyance
Nous sommes convaincues que derrière les discours, il y a des hommes et des femmes, mus par des
affects qui guident leurs prises de décision. Nous montrerons ainsi comment l’adhésion à un parti ou à
une idéologie s’apparente finalement à un système de croyance. Nous avons foi en un discours politique
comme nous avons foi en un discours religieux. Il y a quelque chose qui demeure insondable, irrationnel
et incontestable. Dès lors, il ne s’agit pas de dire qu’un discours vaut mieux qu’un autre, mais
simplement de comprendre qu’ils s’inscrivent, indubitablement, dans des imaginaires historiques et
politiques foncièrement différents.
En ce sens, nous déconstruirons l’apparente neutralité des discours des représentants de nos
institutions pour comprendre le projet politique qui est à l’œuvre. Un texte est toujours prononcé en vue
de convaincre celui qui l’écoute. En écrivant le récit d’une campagne présidentielle, iI sera également
passionnant de se saisir de ce qui est irrationnel en politique, de ce qui ne s'explique pas, de ce qui nous
échappe. Habitués que nous sommes à considérer la chose politique comme satisfaisant aux lois de la
vérité, de la rationalité et de l’objectivité; nous révèlerons aussi ce qu’il y a de subjectif, de sensible et
d’invisible.
La vacance du pouvoir
Nous imaginerons le récit d’une campagne présidentielle, séquence du calendrier politique propice à
l’évocation de l’héritage républicain et au questionnement des outils démocratiques qui sont les nôtres.
Mais que se passerait-t-il si cet héritage ne pouvait plus se transmettre ? S’il n’y avait plus de légataire ?
Notre fiction se placera sous les auspices de la mort : le précédent Président est décédé subitement, le
pouvoir est par conséquent vacant. Mais une fois le second tour de la campagne passé, le siège sera
encore libre. Impossible pour la République de trouver son successeur. Nous raconterons donc d’abord
la conquête d’un homme et de son équipe pour accéder au pouvoir puis son renoncement. Ce vide
alors laissé une fois la campagne achevée nous permettra de raconter, en creux, la nécessité selon nous
de faire la place à de nouveaux modèles de gouvernement et de formuler ainsi de nouvelles utopies.
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