: Entretien avec Jean-Michel Ribes
Propos recueillis par Pierre Notte
Quand vous tourniez Palace ou Merci Bernard, le mot d’ordre était : « Tout, sauf l’actualité ! ». Et jusqu’ici, on vous trouvait plutôt du côté de l’absurde, rarement vers la satire…
C’est vrai que jusqu’ici, ma manière de me moquer du monde ou des étouffements de la société passait par
l’absurde ou le non-sens. A l’ombre des dadaïstes, je m’efforçais de dynamiter l’esprit de sérieux à sa racine.
René l’énervé s’approche beaucoup plus d’une réalité visible. Cela vient du fait que depuis plusieurs années,
je ressens un malaise face à la gouvernance de notre pays et de la politique en générale. Avant que cela ne se
termine en aigreur, j’ai préféré tenter de le transformer en farce joyeuse. Un rire de résistance en chansons. De
plus, j’ai une passion pour l’opéra bouffe où l’entrain et la légèreté emportent tout.
À la lecture du titre, René l’énervé, c’est au chef de l’État que l’on pense. Est-ce qu’on se trompe ?
On doit plutôt penser à l’univers politique dans son ensemble, qui a été coloré par Nicolas Sarkozy. Car la
force du Président de la République est d’avoir non seulement bouleversé la façon de faire de la politique, mais
d’avoir transformé aussi son opposition, et toute la classe politique ! Le Sarkozysme, ce n’est pas uniquement
Nicolas Sarkozy. C’est une sorte de contagion de lui-même qui envahit l’ensemble des politiques. Une mise en
coma agité de la société ! C’est la raison pour laquelle cet opéra bouffe met en scène aussi bien un conseiller
nommé Hurtzfuller qui aime les Arabes quand ils ressemblent aux habitants du Cantal, un ministre des hautes
frontières, un autre de la prise de sang, mais aussi les opposantes Ginette et Gaufrette, des philosophes
nouveaux, as du cerveau s’il en est ! Des écolos bio bio et encore bio, et bien sûr le parti montant des « Cons de
la Nation »… C’est une galopade rigolote qui traverse le barnum politique en perpétuelle parade.
Est-ce que cela fait de René l’énervé une pièce politique ?
Quelle pièce ne l’est pas ! C’est une banalité de dire qu’il n’y a pas d’art sans subversion, ni de théâtre sans
désir de chambardement. René, dans ce sens, est bien une pièce politique. C’est la réponse du berger à la
bergère ! Puisque les politiques font du spectacle, il est bien normal que les hommes de spectacle fassent de la
politique… Reconnaissez que depuis quelque temps, ils n’y vont pas de main morte ! Ils méritaient bien René l’énervé ! C’est un minimum !
Le poétique peut-être une voie de rédemption pour la politique ?
René l’énervé n’est en rien une oeuvre documentaire, ni une tentative de reproduction exacte de notre actualité,
c’est une bouffonnerie coloriée librement avec bonne et mauvaise foi, un conte sur le pouvoir et les clowneries
de l’homme qui devient providentiel. Une sorte de ras-le-bol en chansons… Fable en rien manichéenne,
puisqu’on y découvrira le double de René : deuxième lui-même, adversaire obstiné et résolu du premier.
La musique ? Originale ?
Originale oui, dans les deux sens du terme, parce que c’est une création et qu’elle sera j’espère surprenante.
C’est mon ami Reinhardt Wagner qui a composé une partition joyeuse et rythmée pour cet opéra bouffe
interprété par vingt chanteurs-comédiens. Le magicien Pierrick Sorin créera la vidéo du spectacle. Patrick
Dutertre signera la scénographie, Juliette Chanaud les costumes, et le chorégraphe Lionel Hoche fera bouger
tout le monde sous des lumières inventées par Fabrice Kebour. C’est avant tout un spectacle où les acteurs
chantent, où les chanteurs jouent, et où tout le monde danse. J’aime quand le théâtre trouve force et élan dans
l’esprit de troupe.
Hormis plusieurs mises en scène, vous avez signé en tant qu’auteur deux créations en dix ans : Musée Haut, Musée Bas où vous abordiez le monde des arts, puis René l’énervé, où il est question du monde politique…
J’ai été nommé en tant qu’auteur à la tête du Théâtre du Rond-Point pour défendre un projet qui voulait
célébrer les auteurs vivants. Nous en avons créé plus de quatre cents ! Il faut bien que de temps en temps je me
souvienne que j’en suis un ! Notre mission était de parler d’aujourd’hui. J’ai le sentiment, avec René l’énervé,
de ne pas déroger à cette règle… Dans Musée Haut, Musée Bas, je m’étais amusé à taquiner avec affection le
petit monde des musées, et l’omnipotence du discours écologiste. Là, avec René, c’est plutôt une réponse que
je souhaite drolatique à ce que j’ai souvent vécu comme une agression de la part de nos gouvernants. La honte
me montait au front, je me suis auto-oxygéné. Comme toujours, je ne suis qu’un sale gosse insolent face à des
professeurs tyranniques, un sale gosse qui essaie, comme le dit Aragon, de « creuser des galeries vers le ciel. »
Est-ce une manière pour vous de fêter les dix ans de votre nomination au Théâtre du Rond-Point ?
J’ai toujours souhaité que ce lieu reste un espace d’invention, de libre parole et de fête. J’espère qu’il l’a été
chaque année et qu’il le restera.
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