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Dans la peau d'un magicien

Thierry Collet ( Conception ) , Eric Didry ( Mise en scène )


: Entretien avec Thierry Collet

Propos recueillis par Pierre Notte

Il paraît que vous vous mettez à nu ? C’est vrai ?


Oui, au propre comme au figuré. J’entrelace des récits personnels et des tours de magie. Les magiciens traditionnels, même s’ils ne semblent pas « fictionnés », sont toujours des figures, des sortes de « clowns », toujours dissimulés derrière le masque de leur personnage, sans doute pour préserver leur posture de pouvoir et d’autorité. Dans ce spectacle, je fais le pari que la sincérité, et donc la fragilité, rendent au contraire les effets magiques encore plus intéressants car ils vont résonner avec des questions humaines et philosophiques. Je me dénude également physiquement dans le dernier numéro du spectacle qui est une sorte de défi technique que je me suis lancé : comment reproduire les numéros virtuoses de manipulation où le magicien fait apparaître des centaines de cartes au bout de ses doigts, mais sans le costume, les manches ou les poches, où ces cartes peuvent être préalablement dissimulées, en étant totalement nu. Je n’étais pas du tout certain d’y arriver lorsque j’ai commencé à répéter le spectacle !


Sera-t-on au théâtre ? Dans un laboratoire, une scène de cabaret, une salle de conférence ?


À la différence de Que du Bonheur (avec vos capteurs) que j’ai joué au Rond-Point la saison dernière et qui s’inscrivait dans un dispositif type conférence, Dans la peau d’un magicien est un spectacle plus théâtral qui, même s’il y a des moments interactifs, se déploie sur le plateau avec un travail de scénographie, de lumière et de son, plus sophistiqué.
Avec le metteur en scène du spectacle, Éric Didry, nous avons même imaginé des moments où les tours de magie sont racontés ! Eh bien, ça a autant d’impact que si les tours étaient réellement présentés... Le pouvoir de la parole et du récit active l’imaginaire et rend les effets magiques réels. Mais il y a également beaucoup de magie performée, et notamment la fameuse caisse aux épées, tour inaugural du spectacle, un grand classique de la magie que nous conduisons dans des directions nouvelles et originales : je suis à l’intérieur de la boîte avec un micro et une caméra vidéo, et je témoigne de ce que je ressens à l’intérieur. Mais ce dispositif qui emmène le public dans la boite avec moi, petit à petit, peut être remis en cause, est-ce un mensonge de plus ? Même si on voit des mains sortir au milieu des épées, y-a-t-il vraiment quelqu’un dans la boite ?


C’est un voyage ? Une histoire ? Il s’agit là d’une confession, d’une sorte d’étude de vous-même ?


C’est l’histoire d’un magicien qui retraverse des moments importants dans sa vie où sa pratique professionnelle et sa vie personnelle se sont mutuellement rejoints et éclairés. Le spectacle n’est pas une confession nombriliste.
Nous avons essayé, avec Éric Didry, de faire en sorte que mes récits personnels reflètent des questionnements plus universels : mon goût pour le mystère résonne avec les mystères familiaux, la construction de la personnalité en pratiquant un art très masculin – les femmes sont généralement des « faire-valoir », voire carrément maltraitées et coupées en morceaux. J’y évoque mes études théâtrales au Conservatoire National d’Art Dramatique où j’avais un peu honte, à l’époque, d’être magicien et d’être vu comme un amuseur de cabaret et de goûters d’anniversaires. C’est aussi l’occasion pour moi de convoquer les grands émerveillements que j’ai vécus lors de congrès ou de spectacles de magie, et de montrer ou de raconter les performances qui m’ont construit comme artiste magicien aujourd’hui.
J’emmène le public dans les coulisses de ce métier et de son apprentissage...


Vous passez de « mentaliste » à « magicien »... Êtes-vous avant tout un manipulateur ?


Il y a des répertoires de magie très différents dans ce spectacle : de la grande illusion avec la caisse aux épées, des manipulations de cartes et de pièces, du mentalisme et des expériences plus psychologiques, de la magie de cabaret avec le tour du « Barman du Diable », des routines interactives, des enchaînements purement visuels... C’est l’expérience du mystère qui m’intéresse, comment elle est vécue par le public et par le magicien lui-même, en quoi elle met à nu notre humanité, notre besoin de croire et de nous émerveiller, et en même temps, notre volonté de comprendre et d’exercer notre esprit critique. Alors oui, je change de casquettes et j’incarne ces différentes figures de l’artifice : le magicien, l’acteur, le mentaliste, le manipulateur... Je fais du vrai avec du faux, et inversement.


Y a-t-il un tour dont vous êtes le plus fier ?


Je suis fasciné par le tour du « Barman du Diable », un classique de la magie que plus personne ne présente aujourd’hui. Il y a une quarantaine d’années, j’en ai lu une description dans l’ouvrage Secrets of my Magic de l’illusionniste anglais David Devant : le magicien présente une carafe d’eau transparente au public et demande aux spectateurs et spectatrices de nommer leurs boissons favorites... Il exauce les souhaits de l’auditoire en versant et en transformant l’eau successivement en alcools, vin, champagne, en café chaud, en liqueurs, en lait, jus de fruits... Tout est possible.
C’est un des seuls tours que je connaisse qui s’adresse à d’autres sens que la vue. Les interventions du goût, de l’odorat quand on hume avant de boire, du toucher quand les boissons deviennent chaudes, et du son des liquides qui coulent de la carafe, rendent ce tour totalement unique. J’ai fait beaucoup de recherches historiques, techniques, c’est une quête qui m’accompagne depuis très longtemps mais qui est toujours restée secrète, dans mon laboratoire de fabricant de miracles ! Pour la première fois, j’en ai conçu une version que je présente dans Dans la peau d’un magicien. C’est un de mes moments préférés du spectacle, je suis fier de la réalisation technique de l’effet, mais surtout de l’effervescence, de la jubilation et de l’énergie que le tour crée avec le public, très joyeux et très mystérieux...

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