: Une histoire de (re)trouvailles
Un jour, quelque part à la fin des années 1980 (ou était-ce au
début des années 1990 ?), un copain a débarqué chez moi avec
une grande valise, pleine de pièces de théâtre américaines. On
avait une petite compagnie ensemble, Antarctica, avec un très
beau logo (deux pingouins qui s’embrassent) et sans subventions.
Ça, ce n’était pas bien grave (c’était une autre époque),
mon copain travaillait comme scénariste pour la télé, et moi
j’étais acteur et metteur en
scène « free lance » mais je
ne peinais pas trop. Donc, le
copain avait fait un voyage à
New York, et il y avait acheté
cette vieille valise pleine de
nouvelles pièces. J’ai lu toute
la valise, patiemment et avec
plus ou moins de plaisir de
lecture. Ce n’est qu’au fond
que j’ai fait la trouvaille : More fun than bowling d’un auteur
qui m’était alors complètement
inconnu, Steven Dietz.
J’ai tout de suite su que je
voulais monter la pièce – ce qui était un peu étrange, parce
que comme metteur en scène, j’avais un penchant avancé
pour une écriture plus ardue, plus « trash », genre Sarah Kane
et des histoires avec des tronçonneuses…
Mais il y avait quelque chose dans l’humour un peu insolent
de cette pièce qui m’intriguait : son côté noir et irrévérencieux
n’empêchait pas qu’une vraie émotion, une vraie humanité
ne se dégage de l’intrigue et des personnages. C’était comme
si l’auteur avait tout fait pour établir une distanciation ironique,
avec des longs monologues en direct avec le public, avec
une série de métaphores rocambolesques sur le bowling, avec
des accidents incroyables qui arrivent aux personnages, avec
un suspense à première vue un peu facile, pour finalement
mettre son public au mauvais pied et raconter une simple histoire
tendre et émouvante d’amour, de trop d’amour, de pas
assez d’amour, de peur de l’amour, du courage que demande
l’amour, du courage que donne l’amour… Je retrouvais en
d’autres mots exactement ce que je cherchais chez Sarah
Kane et dans l’histoire du mec à la tronçonneuse, mais différemment.
Et j’ai trimballé la pièce depuis, dans tous mes déménagements
artistiques, en attente de l’endroit et du moment juste. Là
aussi, il fallait une trouvaille : quand La Comédie m’a proposé
de mettre en scène le projet du Piccolo 2010, pour « Comédie
des champs », je n’y ai pas pensé tout de suite. Dans ce genre
de propositions, il y a toujours toutes sortes de contraintes
très pratiques (nombre d’acteurs, jeunes comédiens autour
d’un « tonton », participation d’une façon ou d’une autre
d’amateurs, restrictions de l’espace théâtral, règles spécifiques
de sécurité, atmosphère rurale de la tournée…) et il y a donc
toujours trente six mille trucs qui tournent dans votre tête.
Et là, je l’ai retrouvée, dans un de mes tas, très ordonnés mais
très nombreux, de projets. ( Je ne me rappelle plus ce qui est
arrivé à la vieille valise, j’ai dû la rendre à mon copain, ou elle
est restée quelque part dans un coin, oubliée lors d’un déménagement
ingrat.)
Puis j’ai trouvé une traductrice pour me trouver un bel équivalent
de cet anglais américain un peu bizarre de Dietz, avec
ces personnages qui parlent comme s’ils écrivaient un livre en
langue parlée. Et finalement, il fallait trouver les acteurs pour
jouer ces personnages, riches
de tendresse et d’aplomb. Des
vraies retrouvailles, là aussi,
parce que quatre d’entre eux
sont des jeunes professionnels
- anciens élèves, que j’ai
accompagnés pendant tout
leur parcours à L’École d’Art
dramatique de La Comédie,
éparpillés sur trois promotions
: la T, la U et la V. Le
public des villes et des villages
autour de Saint-Étienne,
lui, va retrouver le cinquième
acteur (qui est ancien élève
de L’École aussi, mais de bien avant « mon » temps) : il a déjà
fait partie d’une équipe Piccolo, il y a quelques années, dans
Lux in tenebris de Brecht.
More fun than bowling, pièce américaine du Middle West, est
maintenant devenue Plus marrant que le bowling, pièce américaine
du fin fond de la France.
Au plaisir de vous trouver, chez vous…
Yves Bombay
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