: L’intimité d’un capitalisme en mutation
Le théâtre de Michel Vinaver fait oeuvre ; je veux dire qu’une lecture continue, dans la stricte économie de l’objet livre, ferait entendre au lecteur une chronique de la deuxième partie du xxe siècle.
Voici une écriture contemporaine dans le sens le moins vaniteux du terme. Sans souci de
postérité, la question est souvent même d’être au plus près de l’actualité, dans une sorte de
réaction littéraire immédiate, sans grand espoir de concrétisation scénique.
On pourrait, de là, en déduire que ces pièces sont lettres mortes pour le présent, enfouies dans la
séquence historique qui les a vu naître. Ce serait sans compter avec la forme qui les porte : le théâtre
de Michel Vinaver est écrit, il y a un style qui lui correspond. Il n’est pas journalistique mais poétique.
Dans la dramaturgie française malade de son hypothèse baroque et empruntée dans son économie
maigre, il accorde une place rare au mouvement, au déplacement, au simultané : c’est un
théâtre du monde qui affirme qu’il suffit de peu pour le représenter, pour autant qu’une
langue tenue en rende compte.
Il offre une sorte d’épopée du minuscule, il prend acte du manque de grandeur du monde contemporain
et n’imagine pas pour lui une improbable tragédie de la boursouflure mais nous montre, dans
l’insignifiance nécessaire, dans cet amoindrissement de l’homme libéral, une complexité abyssale.
Des vies minuscules y mènent des combats dignes des rois shakespeariens. Shakespeare,
oui, pour la rapidité et l’épique du récit, mais non pas pour l’adhérence à l’actualité ; l’Anglais
n’écrivit pas sur son siècle, c’est ailleurs qu’il faut chercher l’analogie.
Et l’humour acide et franc de l’auteur, présent à chaque page, renvoie à la nécessité de cette prise
en main du réel : de l’aujourd’hui. Et c’est alors Aristophane qu’il nous faut évoquer. Le théâtre de
Michel Vinaver est gai, ce qui ne signifie pas le bonheur, parfois cru, ce qui ne signifie pas
la vulgarité. Les personnages y défilent comme dans une procession profane, les grands y côtoient
les petits au service d’une histoire qui les dépasse, exprimant la charge d’absolu qu’il y a dans l’infiniment
petit.
Par-dessus bord est un paquebot échoué dans la dramaturgie française des cinquante dernières
années. Tout Vinaver s’y trouve. C’est un chef-d’oeuvre : de l’ensemble des oeuvres,
la plaque profonde. Il est difficilement compréhensible qu’elle ne fût pas, en France, l’objet
véritable d’un rendu scénique intégral.
Certes, l’oeuvre est énorme mais c’est bien là une raison de l’aborder. Certes, l’oeuvre parle d’une
France d’avant mais n’est-ce pas là la clé de la France d’après. OEuvre nationale, voilà ce qui est
rare, oeuvre historique et qui porte un regard de l’intérieur sur la France d’aujourd’hui.
Écrite à un moment où notre pays connaissait les tourments des illusions révolutionnaires, elle plonge dans l’intimité d’un capitalisme en mutation. Plus, elle met à jour, dans les obscures officines des avancées organiques des entreprises commerciales, les alliances contre nature mais si profitables de la liberté et du libéralisme.
Ah ! que le capitalisme est joli ! L’épilogue de l’oeuvre se trouve à l’autre bout des oeuvres, et c’est le 11 septembre 2001 qu’il faudrait évoquer. Des avions insouciants semblent planer au dessus de Par-dessus bord, attendant leurs cibles. Il faudra scéniquement que le travail soit drôle, c’est une priorité, léger, c’est une évidence, qu’il tende comme un manifeste le miroir terrifiant de ce qui a engendré notre réel.
Christian Schiaretti
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