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On est les champions

+ d'infos sur le texte de Marc Becker traduit par Pascal Paul-Harang
mise en scène Simon Delétang

: Entretien de Simon Delétang avec Paulines Sales de la Comédie de Valence lors de la création de « On est les Champions »

PAULINE SALES : Comment as-tu découvert cette pièce de l'auteur allemand Marc Becker?


SIMON DELÉTANG : En fait j'ai découvert l'existence de cette pièce, à plusieurs reprises, mais sans connaître réellement son contenu. Au moment de la Coupe du monde, plusieurs lectures ont été réalisées en France, mais je n'en ai vu aucune. C'est Laurent Hatat*, qui a mis ce texte en lecture avec des femmes à Lille, qui me l'a transmis.


P.S.: En répondant à l'appel à projet de la Comédie de Valence, tu as cherché une pièce particulièrement adaptée selon toi à la Comédie itinérante. Quelle forme recherchais-tu précisément et dans l'idée de toucher quel public, ou de le toucher de quelle manière ?


S.D.: La particularité de cette création est qu'elle est le fruit d'une sorte de concours, puisque j'ai répondu à l'appel à projet de la Comédie de Valence et présenté mon projet sans savoir si au final je serais le lauréat. J'ai donc cherché un thème qui donne envie, qui soit suffisamment fédérateur, populaire, et une manière d'en parler qui soit suffisamment originale, et productrice de réflexion pour le spectateur. J'ai donc pensé à cette pièce sur le football que je ne connaissais pas, je l'ai lue et y ai trouvé exactement ce que j'y cherchais. Je n'ai pas eu le temps de me poser beaucoup de questions ni de savoir réellement comment je l'aborderais et j'ai remis mon dossier. Mais très vite s'est imposée l'envie d'attirer un maximum de spectateurs autour du football afin de les confronter à une forme théâtrale radicale qui les amène à une autre idée de ce sport


P.S. : Es-tu toi même un grand amateur de football?


S.D.: Ma passion pour le football est très récente. Je n'ai jamais joué au foot quand j'étais enfant, même pas dans la cour de récréation, et si par hasard je me joignais aux autres, j'étais toujours le dernier à être choisi par le capitaine de l'équipe, souvent après les filles. J'ai suivi les grandes compétitions internationales que la France a remportées en 98 et 2000, mais de là à m'intéresser à un club... Et puis il y a eut récemment une période de ma vie assez difficile moralement, j'étais au RMI, sans véritable autre centre de pensée que le théâtre et la frustration de ne pas pouvoir mettre en scène des pièces qui me semblaient nécessaires mais que les théâtres rejetaient. Et j'ai découvert qu'à Lyon il y avait une équipe de foot de haute volée et j'ai commencé à suivre les matches de cette équipe (à l'époque toujours des victoires) et j'ai découvert le pouvoir de ces rencontres sur mon psychisme... Un véritable antidépresseur ! Et là je suis tombé dans la spirale infernale, j'ai commencé à m'intéresser aux périodes de mercato (transferts des joueurs), aux commentaires d'après match sur internet, au plaisir d'aller voir des matches dans des bars entourés de supporters au langage fleuri, et enfin l'ultime étape, aller dans l'antre du club, dans son stade et me retrouver au milieu de 40.000 personnes, effrayé par cette foule menaçante et irréelle, mais galvanisé par l'odeur de sousbois que dégageait la pelouse du stade. J'ai atteint aujourd'hui un point de non-retour, et ce spectacle ne va pas arranger les choses, car j'ai maintenant un alibi pour regarder les matches à outrance : c'est pour le travail...


P.S.: Grâce à cette métaphore footballistique, différents sujets sont abordés dans La pièce. Lesquels ? Et y a-t-il un axe que tu souhaites privilégier dans ta mise en scène ?


S. D. : Ici le football n'est qu'un contexte. Tout tourne autour de lui, mais le grand absent c'est le match. C'est davantage la langue football qui est célébrée. Mais à travers elle tout ce qui se rattache au sport international... Le chauvinisme, le patriotisme, le culte de la gagne et de la réussite, l'instinct guerrier et le nouvel ordre économique. La dimension politique de la pièce est très excitante, car les thèmes qu'elle aborde sont Les thèmes de campagne de notre nouveau président, même si la pièce a été écrite bien avant, et par un auteur allemand. Cela crée des résonances toutes particulières et je me suis permis plusieurs ajouts qui vont dans ce sens. Nous serons donc à la fois jeunes Loups du capitalisme, mannequins de l'élégance à la française, hommes politiques, militaires, et cette soirée se présente un peu comme une grand messe patriotique fanatique, et j'espère que les spectateurs y verront la dimension critique afin qu'ils ne se méprennent pas sur notre intention.


P. S. : Le football draine un public de plus en plus important, dans les stades et grâce aux retransmissions télévisées payées à prix d'or. Le football serait donc un spectacle. Est-ce que tu y vois une correspondance avec le théâtre, qui, même si on peut le regretter, ne remporte pas les mêmes suffrages ? Et vas-tu t'en servir dans ta mise en scène ?


S. D.: Le théâtre ne pourra jamais rivaliser avec le football, même si j'espère arriver à attirer des spectateurs les soirs de match... Ce serait notre plus belle victoire. Le football est un spectacle, mais les enjeux financiers y sont tellement importants et dépassent tellement le cadre du sport que La dimension de spectacle est assez pervertie. Il y a encore fort heureusement des stades comme celui de Geoffroy-Guichard à Saint-Étienne où la ferveur populaire est tellement forte qu'elle permet de faire oublier la présence des sponsors en tous genre. À Lyon, La pelouse paraît dérisoire à côté de la masse de marques étalées un peu partout. D'autre part l'analogie football/théâtre est passionnante. J'ai longtemps lutté intellectuellement contre tous ceux qui comparaient les vertus de solidarité, de groupe et la dimension artistique communes aux deux parties. Mais force est de constater que l'entraîneur peut vraiment rappeler le metteur en scène, surtout au moment des causeries post matches. À chaque fois que je fais des notes sur le travail aux acteurs, j'ai l'impression de parler comme Roger Lemerre et cela relativise tout mon travail et me plonge dans des abîmes de perplexité. Ce thème du football écrase vraiment tout sur son passage. Je me suis attaché aussi dans te corps du spectacle à brouilter les pistes pour de temps en temps faire en sorte que ce que nous faisons sur le plateau soit contaminé par les règles du football.


P. S.: La pièce se déroule le temps d'un match. Ce rapport au temps a été travaillé volontairement par l'auteur. Est-ce que c'est une donnée qui t'importe ?


S. D.: Absolument. Lors des premières lectures, j'ai réalisé que le temps de jeu annoncé par le commentateur correspondait au temps effectif de lecture. Mais cette durée de 90 minutes est excédée par le prologue, la mi-temps et l'épilogue. C'est une pièce qui pourrait durer trois heures au final. C'est pour cela que je me suis livré à un travail de coupe très conséquent afin que ce spectacle garde une durée supportable pour des spectateurs qui ont moins l'habitude d'aller au théâtre, en resserrant les actions, en allégeant les répétitions de répliques et en faisant l'impasse sur .de longues séquences où il ne se passe rien sur te terrain et où les protagonistes nous font part de leur désarroi. Il est important que ce spectacle garde la saveur de l'instant, et nous ne dépasserons pas je ("espère tes 90 minutes de temps réglementaire. Mais le temps sera matérialisé sur scène, car le temps est indissociable du sport.


P. S. : Tous les différents mondes qui gravitent autour du sport sont présents dans la pièce, journaliste, sociologue... mais la pièce a ceci de particulier qu'elle ne propose pas de personnages définis. Peux-tu évoquer cette forme particulière ?


S.D.: Il s'agit d'une forme chorale, sans aucun nom de personnages, avec simplement des phrases jetées les unes après les autres et on devine aisément qu'à chaque fois c'est une nouvelle personne qui parle. Puis très vite on reconnaît des personnages, ils ont des tics de langage, des obsessions, et il y a aussi des choeurs, comme à t'opéra, maïs des choeurs parlés. Et on peut dire que c'est une particularité du théâtre allemand, et une des choses qui m'ont attiré dans ce texte. La question du réalisme se pose alors et c'est pourquoi je me suis orienté vers une forme stylisée et chorégraphique plutôt qu'une tentative de donner toutes ces tranches de vie dans leur milieux respectifs. On pourrait jouer cette pièce à 30 comme à 40 000. Elle est sous-titrée "Matériau pour une soirée de football patriotique", et cette dimension de matériau, elle aussi très allemande est une liberté offerte au metteur en scène qui doit la prendre comme telle afin de créer une forme à partir de cette partition, presque musicale, en tout cas rythmique et contrastée. La pièce était sous sous-titrée : "Un Requiem allemand". Cette pièce évoquait donc à l'origine l'équipe d'Allemagne. mais le traducteur a seulement changé le nom des joueurs pour la franciser, et le reste est inchangé. Tous les nationalismes et les engouements sportifs se ressemblent.


P. S. : Pour l'ensemble de ces figures, vous allez être quatre comédiens. Comment allez-vous résoudre cette équation ?


S. D. : C'est une équation à plusieurs inconnus... Seuls quelques personnages seront identifiés et les autres sont des paroles anonymes, furtives. J'ai moi même distribué le texte entre les quatre comédiens en faisant dès la distribution tous les choix de mise en scène, quand je choisissais de créer une scène à deux entre tel et tel, en faisant un choeur au lieu d'une parole unique et en essayant d'avoir une logique par rapport aux thèmes forts de chacun. Il y a un acteur qui incarne principalement le Président de la République et toutes les paroles liées à l'identité nationale, un autre est sociologue et aussi un spectateur devant sa télé qui conspue un joueur en permanence, un autre est l'entraîneur et un alcoolique, et enfin le dernier est le journaliste sportif. Et s'ajoutent à cela beaucoup d'autres paroles, des chants de supporters, et des rajouts personnels comme des chants de l'armée et notre hymne national, bien sûr.


P. S.: Tu es donc toi même acteur de la pièce que tu mets en scène. Pourquoi as-tu fait ce choix ? Et comment organises tu le travail ?


S. D.: J'ai fait ce choix car c'était pour moi le seul moyen de vivre cette aventure de décentralisation. Le budget n'était pas suffisant pour permettre au metteur en scène de suivre la tournée. Et j'imaginais mal avoir conçu ce projet pour les villages, et le jour de la deuxième représentation rentrer à Lyon et laisser les comédiens tout seuls. C'est un acte militant et aussi une envie de jouer très forte. Je suis comédien de formation et je suis ravi de pouvoir jouer avec ces trois comédiens que j'ai choisis. Par contre cela complexifie le travail. J'ai donc préparé en amont toute la structure de la pièce, car ce n'est pas un texte et un univers où les comédiens peuvent être dans la proposition spontanée. Tout est très codifié, réglé, millimétré et chorégraphié. J'ai donc toujours forcément un temps d'avance sur eux. Je les fais d'abord travailler seuls sans moi et je me joins à eux en fin de service. J'ai également fait appel à une assistante (chose que je ne fais jamais d'habitude) pour être vigilante à ma place dans la phase finale quand je me concentrerai sur le jeu. Même si je pense que je resterai pleinement metteur en scène jusqu'au bout. J'ai déjà à deux reprises joué dans mes propres mises en scène mais c'est ta première fois que je le fais sur un spectacle aussi conséquent. Mais le comédien est très content de jouer dans cette mise en scène, par contre le metteur en scène se demande qui a engagé ce comédien qui est tout le temps dans les gradins...


P. S. : Le football intéresse de plus en plus les femmes. On a pu le constater lors de la Coupe du monde de 98. Certaines restent néanmoins totalement hermétiques. Comment les convaincre d'aller à la rencontre de ce monde entièrement masculin ?


S.D.: J'ai déjà prévenu l'équipe des relations publiques du théâtre qu'il n'y aura pas de Calendrier des Champions, on ne pourra jamais illustrer à 4 tous les mois de l'année Et je pense que le public féminin pourra trouver son compte sans problème, car cette pièce est aussi une réflexion sur le pouvoir et montre bien les mécanismes émotionnels qui traversent l'être humain dans La victoire ou la défaite. Et encore une fois c'est moins une pièce sur le football que sur le culte de la réussite dans notre société contemporaine, nos costumes seront tout sauf footballistiques et j'espère être en train de faire un spectacle qui touche tout le monde, amateur ou non de football, car l'important est vraiment ailleurs, il réside dans ce portrait de la France qui gagne et qui gouverne que la pièce nous permet de dresser.

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