Que ressent-on aujourd’hui, au bord du gouffre et de la rupture entre les époques, alors que les empires et la structure du monde s’effondrent ?
Aujourd’hui, toute l’humanité civilisée assiste presque « en direct » à la guerre : on voit les immeubles s’effondrer et le corps fragile de l’Homme, fier et arrogant, empli un instant plus tôt d’énergie et de joie, se transformer en une seconde en un amas de cendres grises et d’entrailles humaines. Il n’y a plus de battement de CŒUR, ce muscle fondamental de l’homme qui est le moteur et l’inventeur de tout ce qui est matériel. La matière devient aujourd’hui le principal témoin. Des ruines des maisons émergent les traces matérielles de la vie humaine : les personnes ont disparu, les objets restent.
Avez-vous observé comment le monde physique des objets, lumineux, coloré, multiforme, se transforme, après les bombardements, en un magma monotone et gris ? Les objets semblent revenir à leur état originel, en se mêlant à la terre...
La terre... C’est elle dont la Russie a besoin. Pas des gens : eux on peut simplement les tuer ou les expulser du pays. Le territoire est une chose très importante pour mon pays, il n’y en a jamais assez. Les gens veulent remplir leur Vide intérieur, au moins avec des terres... Écraser le monde entier et le transformer en un espace sans vie.
Le 24 février, notre théâtre en Russie, où nous avions travaillé pendant 37 ans, s’est transformé en un espace sans vie.
Nous sommes partis. Nous n’avons plus de pays. Nous sommes ici.
Une personne sans armes a peu d’outils pour résister à la guerre.
Seulement le cœur et l’énergie. Alors c’est avec ces outils à notre disposition que nous résistons.

• Tatiana Frolova, mai 2022, Ly