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Monsieur chasse !

+ d'infos sur le texte de Georges Feydeau
mise en scène Jean-Paul Tribout

: (Encore !) un Feydeau !

Comment Feydeau fait-il pour demeurer à ce point le chantre de nos folies ? Des centaines de mises en scène plus tard, toutes ses pièces régulièrement montées, de la Comédie Française au Festival d’Avignon en passant par nos théâtres privés, nos CDN, nos théâtres de ville, pourquoi diable ces histoires de cocus, dont on peut maintenant dire qu’elles sont d’un autre siècle, continuent à remplir à ce point nos théâtres et à nous amuser ?


Point de grande poésie chez Feydeau, pas plus que d’envolée lyrique, d’homérique pensée ou de romantique tirade. Non. Rien de cela. Pas plus de référence culturelle, ni de page d’histoire.


Et pourtant, malgré cela (ou plutôt malgré l’absence de tout cela), Feydeau continu de nous divertir inlassablement !


C’est que Feydeau touche à la seule question, qui depuis la nuit des temps nous taraude inlassablement : la sexualité. Comment notre sexualité est passée du libertinage joyeusement subversif du 18ème siècle à cet écartèlement entre désirs et ordre moral du 19ème, pour aboutir à la marchandisation consensuelle et consommatrice de notre époque ? Serai-ce qu’à travers toutes ces tentatives, de « réguler » la sexualité les rapports hommes / femmes aient si peu changés ?


Il nous faut replacer Feydeau dans son contexte, à la charnière du 19ème et du 20ème siècle : La Belle Epoque s’avance, pleine de promesses, celles des Temps Modernes et de l’industrialisation. L’homme devient consommateur, il a le choix, (la première publicité filmée date de 1898, pour la société Ripolin), et qui dit choix, dit début de la suprématie des désirs. Quelques années auparavant Guizot a exhorté les Français de son célèbre « Enrichissez-vous » et Offenbach leur a fait chanter « Je veux m’en fourrer, fourrer, jusque-là ! ».


Le problème des contemporains de Feydeau, c’est cette dichotomie entre leur frénésie de jouissance et les débuts du règne tyrannique de la morale bourgeoise, soucieuse d’un ordre social solide qui défende ses intérêts. Loin d’être une simple vue de l’esprit, cette dichotomie est portée jusque dans les fondements de la troisième république qui est en même temps celle des avancées sociales et celle du retour à l’ordre moral (célèbre discours de Mac Mahon).


Les personnages de Feydeau, à l’instar de leur époque sont donc pris en tenaille entre leurs désirs qu'ils estiment légitimes (les trois essais sur la sexualité de Freud datent de 1905) et leur volonté hypocrite (nécessaire ?) de respectabilité sociale.Cette situation schizophrénique les fait sombrer inexorablement dans le mensonge, lequel se retourne tout aussi inexorablement contre eux. Car si la morale est toujours sauve (le menteur est démasqué) et si les personnages s'en sortent (bon gré, et surtout mal gré), c’est parce qu'au dernier moment, il y a une porte pour les cacher. Leur désir ainsi cloué au pilori (ou plutôt coincé dans le placard), ils peuvent s’en revenir dans le salon, déguster un Bitter bien amère.


Il ne faut guère chercher plus loin notre engouement pour Feydeau. Il nous montre sur scène ce que nous continuons d’être : des hommes pris au piège entre la porte et le lit, entre nos désirs et nos mensonges.


Rions donc de bon cœur, parce que c’est drôle, mécanique et intelligent.


Rions aussi parce que c’est une catharsis.

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