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Mille orphelins

+ d'infos sur le texte de Laurent Gaudé
mise en scène Roland Auzet

: Extrait

Le choeur des enfants : Nous portons notre père.
Les hommes de Gurshpakë nous suivent des yeux
Puis, nous oublient et retournent à leur tâche en haussant les épaules.
Certains ont mis leur main devant la bouche lorsque nous sommes passés
Et cela nous a surpris.
Car l’odeur de notre père,
Qui soulève en eux des hoquets de dégoût,
Nous ne la sentons plus, nous.
Le père ne dit plus rien,
Absorbé tout entier dans la contemplation du ciel qui tangue, au rythme de nos pas.
Nous gravissons les montagnes.
Pierres coupantes et éboulis de caillasses.
Mais rien n’entame notre force.
Nous montons,
Laissant le monde devenir derrière nous
Sans cesse plus lointain
Sans cesse plus petit.
Comme c’est bon de le porter sur nos épaules,
De le sentir, abandonné entre nos mains.
Lorsque nous arrivons en haut,
L’air se fait plus rare.
Nous dominons le monde
Et Gurshpakë, tout au fond de la vallée, semble un petit point oublié.
Alors nous le posons à terre,
Nous sommes arrivés.
Nous l’installons avec précaution contre un gros rocher incliné
Et il demande avec une voix lointaine.


Dragan Bajuk Slator : Que voyez-vous ?


Le choeur des enfants : Il est aveugle.
La gangrène l’a rongé
Et ce sont ses yeux, maintenant, qui puent.


Dragan Bajuk Slator : Que voyez-vous ?


Le choeur des enfants : Il demande cela avec impatience.
Que voyons-nous ?
Les cinq vallées qui se séparent en étoile.


Dragan Bajuk Slator : Et au-delà ?


Le choeur des enfants : Il a les yeux écarquillés,
De grands yeux gris qui ne laissent plus passer la lumière.
Nous répondons.
Au-delà ?…
Au-delà, nous voyons les cimes enneigées.


Dragan Bajuk Slator : Et encore ?


Le choeur des enfants : Au loin, tout au bout,
D’une couleur d’argent comme de l’acier entre les mains,
La mer.
Alors il se rejette en arrière,
Dos contre la pierre
Et il murmure,
Le visage tourné vers le ciel,
Comme s’il voulait boire ce qu’il ne voyait plus
Il murmure :
« C’est bien »
Et nous sourions,
Car c’est signe que nous pouvons commencer.

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