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mise en scène Nicolas Stemann

: Jouer la littérature contre le cynisme

Par Éric VAutrin

JOUER LA LITTÉRATURE CONTRE LE CYNISME : LE THÉÂTRE DE NICOLAS STEMANN

Avec cette nouvelle création basée sur l’adaptation du roman Meursault contre-enquête de Kamel Daoud, Nicolas Stemann poursuit son décryptage du sous-texte postcolonial et néolibéral qui sourd derrière l’actualité sociopolitique de l’Europe contemporaine. Certaines de ces questions étaient déjà au centre de ses créations récentes, notamment Rage et Nathan!?, qui interrogeaient particulièrement la responsabilité de la société occidentale par rapport à la radicalisation des jeunes islamistes. Y a-t-il un lien entre la folie d’attentats apparemment motivés par la religion et l’histoire refoulée de l’oppression et du mépris coloniaux ?


Le théâtre de Nicolas Stemann se caractérise par une liberté formelle qui mêle à l’envi les genres et les supports de narration. Il cherche ainsi moins l’adhésion des spectateurs à une lecture critique argumentée qu’il ne leur soumet des séquences scéniques signifiantes par l’expérience même qu’elles proposent. Ainsi, les interprètes ne jouent pas le texte, mais avec le texte : ils exposent ce que le texte leur fait, ce qui résonne en lui, pour eux.


Alors, même si « l’écriture de plateau » de Stemann fait appel, dans une même mise en scène, à l’ensemble des genres, technologies et conventions théâtrales disponibles –comédie, grotesque, vidéo, choralité, théâtre dialogué classique, adresse au public, tensions tragiques, arts plastiques, musique notamment – elle s’appuie sur une lecture acérée de textes littéraires dont il suit précisément la trame narrative.


La variété des supports de la narration sert ainsi autant à entretenir l’écoute du spectateur qu’à commenter le texte, à en décupler la force dramatique tout en en révélant les implicites ou les correspondances avec le contexte culturel ou sociopolitique de la représentation. Il s’agit autant de discuter les idées du texte de l’auteur que d’interroger, avec lui, les échos contemporains des questions qu’il aborde, à quelle autorité il se confronte.


De ce point de vue, Stemann trouve en Daoud un allié. Plutôt que proposer une démonstration brillante ou développer un discours moral, l’un comme l’autre s’emploient, dans leurs œuvres respectives, à réveiller la lucidité contre le cynisme autant que contre l’idéalisme, appelant à affronter les questions soulevées plutôt qu’à les résoudre par des commentaires assurés et rassurants. La fiction est alors, pour l’un comme pour l’autre, un moyen de confronter les points de vue, de relever les paradoxes et de stimuler les contradictions qui aident à s’approprier et à reformuler des questions aussi bien culturelles que politiques. La collaboration régulière de Nicolas Stemann avec Elfriede Jelinek (Prix Nobel de littérature 2004) a donné lieu à de semblables expositions d’enjeux contemporains à travers les paradoxes d’un récit, tout comme la mise en scène de Nathan le Sage par Stemann qui n’était ni une critique littéraire ni un hommage à ce texte classique de la littérature allemande, mais au contraire une façon de prendre Lessing à la lettre sur la question de la tolérance et de réfléchir à ce que le texte proposait – quitte à critiquer son idéalisme – tout en en étudiant les réminiscences et les similitudes, frappantes, dans ce cas, avec les débats et enjeux contemporains.


Voilà un théâtre vif, libre, aussi joyeux que cruel dans son ironie, rageur parfois, surprenant et percutant souvent, s’autorisant tous les masques et les rapprochements les plus audacieux– au service d’une conscience éveillée et clairvoyante pleinement inscrite dans notre époque.

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