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Les Particules élémentaires

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mise en scène Julien Gosselin

: Entretien avec Julien Gosselin

Propos recueillis par Renan Benyamina

Pour vos deux premières mises en scène, vous avez choisi des auteurs de théâtre qui prennent leurs distances avec le genre dramatique, à savoir Fausto Paravidino et Anja Hilling. Pour votre première venue au Festival d’Avignon, vous adaptez un roman : Les Particules élémentaires de Michel Houellebecq. Comment décidez-vous des textes que vous montez?


Julien Gosselin : Le choix de Gênes 01, de Fausto Paravidino, procédait d’un désir proche de la prime nécessité de mise en scène. Lorsque j’ai lu ce texte, je me suis senti obligé de le monter. Pour moi, certaines langues théâtrales appellent immédiatement le plateau. La mise en scène de Tristesse animal noir a, quant à elle, répondu à l’envie de travailler un matériau qui ne soit pas uniquement théâtral. Il s’agissait presque d’un défi : je voulais voir comment nous, c’est-à-dire les membres du collectif et moi-même, allions nous en sortir avec cette oeuvre étonnante d’Anja Hilling. Je sentais aussi que j’avais besoin de m’éloigner du théâtre pour en faire. La troisième partie de cette pièce est en effet construite comme un roman : les personnages racontent ce qui leur arrive en même temps qu’ils le vivent. Après cette expérience, j’ai ressenti l’envie de mettre en scène un roman. Notre travail sur Les Particules élémentaires s’inscrit donc dans ce cheminement.


Qu’est-ce qui vous a particulièrement intéressé dans Les Particules élémentaires?


Je dois d’abord dire que je suis un fou de Michel Houellebecq. Dans un premier temps, j’ai voulu m’attaquer à Lanzarote, un récit de voyage paru en 2010, qui annonçait en quelque sorte Plateforme. Mais Les Particules élémentaires constituent sans doute son oeuvre majeure, la plus évidente. La littérature de Michel Houellebecq est caractérisée par une langue, bien entendu, mais aussi par une pensée, qu’il me paraissait un peu fou, en tout cas très excitant, de transposer au plateau. Paradoxalement, si Les Particules paraissent au premier abord extrêmement difficiles à mettre en scène, il s’agit d’un texte au potentiel théâtral très fort. Je recherche en général des textes denses qui peuvent faire l’effet de masses, un peu comme les films de Terrence Malick face auxquels on a le sentiment que chacun contient l’ensemble de son cinéma. Le style de Michel Houellebecq répond, par ailleurs, à mon projet de combiner sur scène la pensée, la science, la poésie pure et l’art théâtral. Pas seulement la danse et la musique. Personnellement, en tant que spectateur, je suis parfois plus ému en écoutant un énoncé scientifique qu’en assistant à une représentation d’une pièce classique. Or, ce rêve de théâtre colle au rêve romanesque de Michel Houellebecq. Il en parle lui-même de manière extrêmement intéressante : il dit chercher constamment à juxtaposer une poésie très pure, parfois en alexandrins, des pensées scientifiques sur la physique quantique et des énoncés publicitaires. La phrase type de Michel Houellebecq, c’est la succession d’une phrase drôle, éventuellement sexuelle, d’un point-virgule, puis d’un énoncé très poétique.


Comment avez-vous adapté son roman?


Ma priorité a été de conserver et de mettre au premier plan tout ce qui est le plus poétique dans le texte. Tout ce qui est le plus sensuel, le plus émouvant. Je ne voulais pas que le côté « chronique du monde contemporain », un peu sinistre, prenne le dessus. Je tenais à ce que l’ensemble soit teinté d’une forme de lyrisme. Tout cela est évidemment présent dans le roman, mais j’ai fait le choix de tirer particulièrement ces fils-là. J’ai ensuite mis l’accent sur tout ce qui est scientifique. Les particules élémentaires sont des particules qui suivent exactement le même chemin dans l’espace, quelle que soit la distance qui les sépare, à l’image des deux personnages principaux du roman. La vie de Bruno, qui multiplie les conquêtes, conditionne la pensée de Michel, son frère, savant qui ambitionne de créer une nouvelle espèce par le clonage. Le lien entre la vie sexuelle pathétique de l’un et le projet scientifique de l’autre constitue le coeur du roman comme celui du spectacle. D’un point de vue plus formel, j’ai gardé tout ce qui me paraissait théâtralement excitant, comme certains monologues. Dans une recherche du rythme juste, j’ai beaucoup coupé, peu réécrit puis ré-agencé l’ensemble en courtes séquences.


Vous privilégiez une approche collective de la mise en scène. Comment se déroule le travail avec votre équipe?


Six des acteurs qui composent l’équipe artistique des Particules élémentaires sont des compagnons de longue date. Nous travaillons ensemble depuis 1999 et notre sortie de l’Epsad, l’École professionnelle supérieure d’Art dramatique du Nord-Pas de Calais, où nous avons été formés par Stuart Seide. Nous sommes heureux ensemble et nous nous connaissons désormais très bien. C’est intéressant, car nous n’avons plus besoin de préciser certaines choses : nous partageons un style et des habitudes, comme le fait de jouer face public, de projeter la voix et l’énergie assez fort. Lorsque je choisis un texte, tout le monde comprend immédiatement les raisons de ce choix. Cette complicité autorise une grande part d’improvisation dans le travail collectif, la liberté de chacun étant d’autant plus grande que nous sommes d’accord sur un cadre commun.


Quel dispositif scénique imaginez-vous pour vos acteurs?


Pour Les Particules élémentaires, une dizaine d’acteurs sont présents sur le plateau, du début à la fin, face au public. Si certains incarnent les personnages de la pièce, la voix du narrateur est, elle, portée collectivement. Les comédiens évoluent dans un espace vide, sans décor. L’idée d’avoir ou de prévoir un décor me tétanise : j’aime que tout soit possible, que rien ne soit contraint par l’environnement. En revanche, j’adore voir les projecteurs et les instruments sur la scène, comme lorsque l’on attend le début d’un concert et que ces éléments sont les seuls indices de ce qui va se dérouler.


La musique joue-t-elle un rôle dans la pièce?


La musique est très présente, interprétée en live par les acteurs eux-mêmes. C’est Guillaume Bachelé qui a signé les morceaux du spectacle. Il a un vrai talent pour composer des partitions jouables par tout le monde. La plupart des mélodies sont plutôt pop, interprétées par l’ensemble des acteurs, un peu comme dans les spectacles de Jan Lauwers. Il y aura aussi de la musique diffusée, dont une chanson de Bernard Lavilliers – je ne peux pas m’empêcher de l’annoncer – que j’apprécie particulièrement.


Partagez-vous un « corpus Michel Houellebecq » avec les comédiens? Leur demandez-vous une connaissance précise de son oeuvre?


Pour moi, il est effectivement très important que les acteurs aient lu et entendu suffisamment Michel Houellebecq. Il dit lui-même ses textes de façon très singulière, avec une qualité rythmique étonnante. Je veux qu’ils entendent cette musicalité. Sa langue repose en grande partie sur des ruptures de rythme et de style, qu’il faut avoir comprises pour être en mesure de les porter. Et pour également être en mesure de restituer le lyrisme dont je parlais tout à l’heure, présent dans toute l’oeuvre de Michel Houellebecq, mais que l’on sous-estime souvent à cause de sa réputation sulfureuse. Il faut que nous partagions une sensation commune de cette poésie. Et puis, bien que je trouve l’humour des Particules élémentaires renversant, je dois reconnaître qu’il n’est pas évident et qu’il nécessite, pour certains, que l’on s’y familiarise. Ce ne sont pas véritablement les situations décrites qui sont drôles, mais le style lui-même. Chez Michel Houellebecq, l’humour repose sur l’ironie. Il faut le sentir pour le jouer.


Les Particules élémentaires a été publié en 1998. Une évocation de Bruno Masure nous replonge dans ces années-là.


Selon vous, ce récit peut-il faire encore sens aujourd’hui? La pièce est en effet ancrée dans les années 90. Elle date de la Coupe du monde, une époque qui fait déjà partie de l’Histoire. Ce qui m’intéresse, c’est de créer un décalage en faisant jouer ce texte par de jeunes gens, qui ont moins de trente ans. Michel Houellebecq écrit sur la misère sexuelle contemporaine, sur le culte du corps et son revers, le dégoût de soi. Il décrit des quadragénaires sortis du jeu sexuel. J’ai l’impression que ce phénomène s’est accéléré et qu’il touche des individus de plus en plus jeunes. Désormais, ce désabusement, ce sentiment d’avoir vieilli vient extrêmement tôt. C’est pourquoi, je trouve par exemple drôle et saisissant d’entendre la jeune comédienne qui interprète Christiane regretter : «À vingt ans, j’avais une très belle vulve; aujourd’hui, je me rends bien compte que les lèvres et les nymphes sont un peu pendantes.»


Le texte pose aussi les questions de la filiation et de la reproduction, un sujet particulièrement brûlant ces temps-ci…


Lorsque Michel Houellebecq parle de ce monde à venir, il ne le voit que comme quelque chose de négatif. Il est absolument persuadé que ce monde adviendra. La civilisation qu’il décrit est à moins de cinquante ans de nous, elle pointe sous nos yeux. Il y a une dizaine d’années à peine, la procréation médicalement assistée (PMA) et la gestation pour autrui (GPA) étaient rangés en France dans le même tiroir que le clonage. Malgré les récentes manifestations contre ces techniques de procréation, elles paraissent de plus en plus acceptables. Le temps de l’Histoire va réduire ces polémiques à des choses microscopiques. Les Particules élémentaires résonnent remarquablement avec les débats récents. Il est donc très intéressant de monter ce texte à ce moment-là. Michel Houellebecq est très clairvoyant. Encore une fois, ce n’est pas par provocation qu’il dépeint une telle société, mais plutôt parce qu’il comprend et anticipe les changements sociaux.


Le caractère « politiquement incorrect » de Michel Houellebecq vous a-t-il encouragé à créer ce spectacle?


Mon désir n’est pas parti de là. Cependant, de façon indéniable, le fait de constater que personne en France ne mettait Michel Houellebecq en scène m’a encouragé. Ses oeuvres sont régulièrement adaptées en Allemagne, notamment par Frank Castorf et Falk Richter. Mais ces deux grands metteurs en scène n’ont pas été imités en France, ni même programmés dans l’Hexagone. Ce dédain est une énigme. Sans doute le théâtre français recherche-t-il quelque chose de vital, de positif. Michel Houellebecq apparaît peut-être, à cet égard, trop résigné et trop cynique. Il y a aussi un problème de fond : il me semble que les metteurs en scène français s’intéressent très peu à la littérature contemporaine et restent très centrés sur le texte de théâtre.


Le théâtre français vous semble trop peu ancré dans l’époque contemporaine?


Le théâtre doit parler du monde, c’est une évidence. Comme Stanislas Nordey, je m’interroge sur les moyens de parler au théâtre du monde d’aujourd’hui. L’idée de la métaphore pour évoquer la société actuelle ne me paraît, personnellement, pas satisfaisante. Si on veut parler du monde d’aujourd’hui, pourquoi monter Marie Stuart de Schiller? Cela me paraît absurde. Selon moi, il vaut mieux monter Falk Richter. C’est la raison pour laquelle je regrette le peu de place accordée par le théâtre français à la littérature contemporaine. Le roman, la musique, les arts plastiques sont des arts connectés au monde d’aujourd’hui. Le théâtre, lui, est constamment connecté à l’Histoire, au patrimoine dramatique. Parler du monde d’aujourd’hui, pour moi, c’est très concret. On passe nos vies sur internet, à recevoir de l’information continue, à être en permanence branché : pourquoi faudrait-il fermer tous ces canaux lorsque l’on fait du théâtre?

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